IEER | Énergie et Sécurité No. 23


Repères pour la paix en Asie du Sud

Par L. Ramdas


Heureusement, l'Inde et le Pakistan se sont éloignés du bord de la guerre et de l'holocauste nucléaire. Mais le danger est toujours présent et les deux camps restent à la merci d'événements qu'ils ne contrôlent pas complètement. Au Pakistan, des éléments fondamentalistes enclins à l'usage de la violence vis-à-vis de l'Inde, auxquels correspondent des groupes de droite similaires en Inde, cherchant tous deux à provoquer la guerre, tiennent entre leurs mains l'avenir de cette région du monde. Cela continuera d'être le cas, tant que les deux gouvernements ne mettront pas en place des mesures pour apaiser la confrontation actuelle et revenir à un dialogue.

Les objectifs suivants sont interdépendants et doivent être atteints :

  • Arrêter l'infiltration permanente du Pakistan vers la partie indienne du Jammu et du Cachemire;
  • Mettre fin à toutes les formes de violation des droits de l'homme aussi bien par les extrémistes que par les forces de sécurité;
  • Résoudre la question du Cachemire de manière pacifique, en gardant à l'esprit l'héritage de la Partition et les réalités actuelles sur le terrain : l'existence de la Ligne de Contrôle tenant lieu de frontière virtuelle depuis l'accord de Simla en 1972;
  • Identifier un processus permettant d'établir ce que souhaitent les populations du Jammu et du Cachemire pour leur avenir;
  • Désamorcer les tensions nucléaires et éliminer le risque de guerre nucléaire, et
  • Ouvrir les deux pays à des mouvements de population et des rapports commerciaux normaux, et créer un climat social et politique de nature à promouvoir de bonnes relations entre les peuples de l'Inde et du Pakistan ainsi qu'en Asie du Sud.

Les éléments suivants pourraient ouvrir la voie à la résolution de ces conflits qui couvent depuis longtemps, tout en gardant à l'esprit l'historique des divers accords signés ou presque signés par l'Inde et le Pakistan, mais qu'ils n'ont pas réussi à mettre en application jusqu'ici. Cette approche intègre également la nouvelle réalité qui domine l'Asie du Sud : l'acquisition d'arsenaux nucléaires par l'Inde et le Pakistan signifie que les menaces de guerre conventionnelle et nucléaire sont maintenant inextricablement liées. Si les dirigeants indiens et pakistanais veulent la paix, qui est plus qu'une absence de guerre, il est nécessaire, pour une paix durable, de résoudre les problèmes des relations entre les peuples et dans les communautés à l'intérieur de ces pays, avec équité, tolérance et amitié.

Le Pakistan s'est engagé à mettre fin de façon permanente aux infiltrations au Cachemire. Ceci nécessitera une surveillance. L'Inde a proposé une surveillance militaire conjointe de la frontière. Ceci n'a pas été accepté par le Pakistan. La complexité de la situation est d'autant plus compliquée par "l'allergie" de l'Inde vis-à-vis de toute interférence d'une grande puissance ou d'une tierce partie dans la question du Cachemire. Toutefois, les Etats-Unis et d'autres jouent déjà un rôle important dans la communication entre les dirigeants des deux pays.

Il est ainsi proposé qu'une force constituée à partir des membres de l'Association de l'Asie du Sud pour la coopération régionale (South Asian Association for Regional Cooperation - SAARC) sous un commandement faisant l'objet d'un accord mutuel, puisse apporter le compromis nécessaire à la mise en place de la surveillance. Cette force pourrait disposer de données techniques recueillies par d'autres pays, notamment les Etats-Unis, pour mieux accomplir ses tâches. Dans un premier temps, l'Inde devrait faire montre de sa bonne volonté en engageant la réduction de ses forces le long de la frontière et en restaurant tous les liens de communication notamment le trafic routier, ferroviaire et aérien entre les deux pays. Le but doit être de ramener les forces à la frontière aussi rapidement que possible aux niveaux d'avant le 13 décembre

Il y a trois protagonistes dans la question du Cachemire, l'Inde, le Pakistan et les populations du Jammu et Cachemire. Il est donc essentiel que l'Inde reconnaisse ce fait. De même, l'Inde et le Pakistan doivent comprendre la réalité sur le terrain de la partition de fait de l'ancien Etat du Jammu et Cachemire en acceptant que la Ligne de Contrôle (LC) devienne la frontière internationale entre les deux pays. (Voir carte à la page X) Il est indéniable que les populations du Jammu et Cachemire ont beaucoup souffert de la lutte acharnée pour la suprématie à laquelle se livrent l'Inde et le Pakistan depuis plus de cinquante ans. Elles aspirent à la paix et à l'arrêt de toute forme de violence.

Comme premier pas dans cette direction et comme geste témoignant de l'honnêteté de leurs intentions, l'Inde et le Pakistan doivent réduire le niveau de leurs forces de sécurité sur la frontière du Cachemire. Le Pakistan doit également fermer tous les camps d'entraînement d'extrémistes sur son sol.

Un processus pour établir ce que souhaitent les populations de l'ensemble de l'ancien Etat du Jammu et Cachemire, en gardant à l'esprit les réalités de terrain d'une partition de fait de l'Etat, revêt une importance capitale dans toute solution au "problème du Cachemire".

Pour faciliter l'émergence de la paix dans la région aussi vite que possible, le processus suivant pourrait être envisagé : D'abord, les Cachemiries des deux côtés de la frontière devraient pouvoir choisir de devenir citoyens soit de l'Inde soit du Pakistan, et, s'ils veulent changer de côté, ils devraient avoir la possibilité de le faire en paix et en sécurité. Pour mettre ceci en place, les deux pays devraient convenir d'une certaine forme de supervision internationale. Ce rôle pourrait être rempli par une équipe de surveillance de la SAARC comme proposé ci-dessus. Deuxièmement, les populations qui ont du abandonner leurs terres et leurs maisons du fait du conflit actuel, comme les brahmanes cachemiries, devraient pouvoir revenir en paix et en sécurité. Troisièmement, il faudrait maintenir une perméabilité de la frontière entre l'Inde et le Pakistan au Cachemire pour permettre aux Cachemiries des deux côtés de la traverser sans trop de difficultés pour des raisons personnelles, familiales ou professionnelles.

Les deux pays doivent réaffirmer leur engagement à négocier pacifiquement toutes les questions en souffrance et à ne pas recourir à la guerre, par camps interposés ou autrement. Cette approche devrait répondre de manière satisfaisante aux préoccupations des deux pays. Ceci signifie, tout d'abord, un cessez-le-feu le long de la LC. Le Pakistan devrait accepter la politique de non-utilisation en premier des armes nucléaires, une politique déjà adoptée par l'Inde. C'est l'équivalent d'un cessez-le-feu nucléaire. L'Inde et le Pakistan devraient tirer profit de leurs meilleures traditions pour non seulement éviter la guerre mais pour établir entre eux une paix réelle. Ils pourraient de manière vérifiable mettre hors d'état d'alerte leurs armes nucléaires avec une surveillance bilatérale ou de la SAARC et, dans ce contexte, inviter tous les autres pays nucléaires à faire de même. Tous les deux ils adopteraient un rôle de leadership pour la cause du désarmement nucléaire mondial.

Seule une paix durable peut dissiper les nuages de la guerre et de la menace d'une hécatombe nucléaire de l'Asie du Sud. A l'aube de l'ère nucléaire, Albert Einstein a appelé l'humanité à développer une nouvelle façon de penser, sans quoi elle périrait. Les dirigeants occidentaux dans leur irresponsabilité ont ignoré cet avertissement et sont restés au bord de l'abîme nucléaire, les Etats-Unis et la Russie maintiennent à eux deux plus de 4000 ogives nucléaires en alerte maximale, tout en se proclamant amis et en paix.

Dans un atelier qui s'est achevé récemment, "Initiative pour la Paix - Objectif Cachemire" au United World College à Singapour, 40 jeunes Indiens et Pakistanais se sont rencontrés pendant une semaine, et se sont mis d'accord sur une déclaration d'entente encourageante : On peut lire dans le paragraphe final de la déclaration :

Nous avons la certitude que nous pouvons faire de cette génération et de celles à venir, les meilleures de toute l'histoire de l'humanité ou les pires. Le choix dépend entièrement de nous ; nous avons fait le choix d'un monde meilleur et pacifique.

C'est cela, plutôt que l'état perpétuel de quasi-guerre maintenu par les deux pays, qui conviendrait le mieux à cette région qui a donné au monde Badshah Khan et Mohandas Karamchand Gandhi, et le mouvement de libération le plus exceptionnel que le monde ait connu.


Cette tribune a été publiée dans The Hindu le 18 juillet 2002. Reproduction autorisée. L'auteur est ancien Chef de l'Etat major de la Marine, en Inde.


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(La version anglaise de ce numéro, Science for Democratic Action v. 11, no. 1, a été publiée en novembre 2002.)

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