IEER | Énergie et Sécurité No. 23

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"La science pour les masses critiques" apparaîtra régulièrement dans Énergie et Sécurité. Elle fournira aux lecteurs des éléments de référence technique pour les questions de politique discutées dans chaque numéro, ainsi que l'occasion de mesurer leurs connaissances sur ces points techniques.

Plan et méthodologie d'une enquête

Par Sanghamitra Gadekar, M.D. et Surendra Gadekar, Ph.D.

Les enquêtes peuvent être de puissants outils pour établir les faits. Néanmoins, elles doivent être menées correctement et dans un but précis. Il peut y avoir trop d'étapes qui peuvent poser problème. Une enquête qui n'est pas réalisée correctement est non seulement un énorme gaspillage de temps, de travail et d'argent, mais peut aussi donner des résultats peu probants et non reproductibles: une perte de crédibilité à long terme.

Voici quelques exemples réels de ce qui peut poser problème :

  • Un groupe de médecins en Inde étudiait le lathyrisme, une émaciation due à la consommation de certaines sortes de lentilles. Ils ont consulté un épidémiologiste, un formulaire d'enquête a été élaboré, et les équipes d'enquête ont été formées à la façon de remplir les formulaires. Vues les dimensions importantes de la zone de prévalence de la maladie et le nombre limité des équipes d'enquête, des villages ont été sélectionnés de façon aléatoire et attribués à chaque équipe. L'une des équipes s'était vue attribuer un village dans une région très éloignée. Les routes étaient dans un état pitoyable, les stations d'essence rares, et les crevaisons continuelles. Les enquêteurs ont finalement dû parcourir à pied les derniers kilomètres pour atteindre le village où après cet effort héroïque, ils ont été stupéfaits d'apprendre qu'il n'y avait aucun cas de lathyrisme. Néanmoins, il y en avait un bon nombre dans le village voisin. L'équipe a décidé d'aller jusqu'au village suivant et d'y mener son enquête. Après tout, le processus de tirage au sort des noms de villages aurait aussi bien pu tomber sur le village numéro deux que sur le village numéro un. Malheureusement, leur décision correspondait exactement à ce qu'il ne fallait pas faire, puisqu'elle enfreignait le processus même de sélection aléatoire qui était à la base de toute l'enquête.
  • Un autre groupe menait une enquête sur la santé maternelle et infantile dans une zone polluée. Les formulaires d'enquête comportaient des questions sur la famille, auxquelles n'importe quel membre de la famille aurait pu répondre, par exemple sur les biens possédés, et d'autres questions devant être seulement posées à la femme, par exemple sur le déroulement de sa grossesse. Normalement, les noms et les âges des membres de la famille auraient dû faire partie des questions sur la famille, mais elles étaient malheureusement incluses dans la partie réservée à la femme. Les données ont été intégralement collectées, puis saisies sur ordinateur. Le problème de la malencontreuse conception du questionnaire est apparu alors que l'analyse des données avait déjà commencé. Comme les questions concernant l'âge et le sexe des enfants faisaient partie du questionnaire destiné à la femme, ces données n'avaient pas été collectées dans un certain nombre de foyers parce que la femme n'était pas disponible au moment de la visite des enquêteurs. De ce fait, il devenait impossible de répondre à des questions toutes simples comme la population totale ou la répartition par âge et par sexe.
  • Un autre groupe a décidé d'utiliser dans le cadre de son enquête les listes électorales et le système de numérotation des maisons de la municipalité. Ils ont rapidement découvert que de nombreuses personnes avaient été arbitrairement écartées de ces listes.

Les exemples qui précèdent illustrent seulement quelques-unes des diverses façons dont les choses peuvent mal se passer, et retirer tout son intérêt à une enquête. Il est donc important de respecter strictement la procédure. Les enquêtes peuvent être découpées en quatre phases :

  1. La phase de conception
  2. La phase de collecte des données
  3. L'analyse
  4. La diffusion des résultats

L'objectif d'une enquête doit être bien défini, et la phase de conception s'avère le meilleur moment pour le faire. La tentation est grande de poser de nombreuses questions sur des sujets divers. Il faut résolument s'y refuser, parce que les enquêteurs tout comme les répondants se lassent de remplir de longs questionnaires. Des enquêteurs fatigués ou qui s'ennuient sautent les questions dont les réponses semblent "évidentes". Pourtant, toutes les questions directement en relation avec l'objectif doivent être posées et elles constituent généralement déjà un ensemble assez long.

Il est facile d'oublier de poser des questions qui peuvent avoir une importance cruciale. Par exemple, un problème important avec notre enquête sur Rawatbhata (voir article, page 1), notre toute première, était que nous demandions seulement si quelqu'un dans le foyer était employé à l'installation au moment de l'enquête. Nous avons donc obtenu une liste de personnes qui étaient employées à ce moment-là, mais aucune information sur les emplois antérieurs. Ainsi, nous ne pouvions rien avancer sur un lien quelconque entre la durée et le type d'embauche à la centrale, et l'incidence élevée des malformations congénitales observées chez les enfants de cette zone.

Avant de concevoir un plan d'enquête, il est important de définir des critères de sélection. Une fois les critères définis, toutes les entités qui satisfont aux critères s'intègrent au champ de l'enquête. Par exemple, les critères peuvent correspondre à tous les villages situés à une distance et dans une direction particulières par rapport à une usine polluante. Mais dans ce cas, tous les villages situés dans cette direction et à cette distance doivent faire partie de l'enquête. Un village particulier ne peut pas être exclu pour des raisons de commodité ou parce qu'on sait qu'il n'y a pas de "cas" à cet endroit. De la même manière, un village ne peut pas être exclu parce qu'étant trop grand il dépasse les capacités de l'équipe d'enquête. Dans un tel cas, il faut repenser le critère de départ utilisé pour établir la sélection ou procéder à un échantillonnage aléatoire. Nous avons choisi d'enquêter sur tous les foyers plutôt que de faire un échantillonnage aléatoire.

Plus les objectifs sont affinés, meilleure est l'enquête. Une meilleure conception du formulaire d'enquête en résulte pouvant épargner du temps et des tracas par la suite. Sur le terrain, le temps est strictement limité; on ne peut le perdre à reprendre plusieurs fois les mêmes informations. Lors de la mise au point d'un formulaire d'enquête, pour chaque question, le concepteur doit établir tous les types de réponses susceptibles d'être données puis il doit les numéroter et leur attribuer un code préalable dans le formulaire d'enquête lui-même. Ensuite, sur le terrain, l'enquêteur choisit simplement la réponse donnée à partir de la liste, et inscrit son numéro. Si le temps le permet, il est judicieux de réaliser une pré-enquête d'échantillonnage de manière à faire apparaître certaines des difficultés, et à les corriger avant d'avoir investi des efforts considérables.

Avant l'étape de collecte des données, les différentes équipes doivent être formées et les tâches doivent leur être attribuées. Ces tâches sont essentiellement de trois types :

  1. Attribution de numéros : Avant de pouvoir commencer à remplir les formulaires d'enquête, chacune des maisons faisant partie du champ de l'enquête doit être numérotée. Même s'il est décidé de faire un échantillonnage aléatoire, cette opération doit être effectuée de façon à ce que chaque maison ait une chance égale d'être sélectionnée.
  2. Remplissage des questionnaires d'enquête par des équipes spécialement formées.
  3. Vérification des questionnaires remplis par des personnes expérimentées. Ceci doit être fait aussi vite que possible de façon à ce que toute erreur puisse être corrigée pendant que l'équipe est encore sur le terrain. Il est très pénible d'avoir à revisiter des zones d'enquête ultérieurement pour des corrections, mais cela s'avère nécessaire quand des informations vitales sont omises la première fois.

Un grand nombre de programmes informatiques de bonne qualité pour l'analyse sont sur le marché. Notre préféré est EPI-INFO. C'est un programme très convivial, conçu spécialement par l'Organisation Mondiale de la Santé et les Centres de contrôle et de prévention des maladies des Etats-Unis, pour des enquêtes sanitaires destinées à suivre la propagation du SIDA en Afrique. Outre qu'il dispose de très bonnes fonctionnalités analytiques, il est gratuit. Toutefois, avant que l'analyse puisse être menée, les données doivent être saisies sur des ordinateurs et, avant cela, tous les formulaires doivent être vérifiés pour s'assurer que rien n'a été omis et qu'ils sont réellement prêts pour la saisie informatique. A ce stade le temps passé à la conception du formulaire d'enquête est apprécié, la saisie de données étant simplifiée par un formulaire d'enquête bien conçu.

La tâche de diffusion des résultats est généralement réalisée par une publication dans des revues scientifiques. Mais, si les connaissances scientifiques doivent servir de base à une action démocratique, il s'agit alors de la partie la plus importante de l'enquête. Les informations qui constituent la base de l'enquête appartiennent à la communauté, et doivent la renforcer. Là où la plupart des gens dans la communauté sont analphabètes, la diffusion des résultats doit également se faire sous forme non écrite.


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(La version anglaise de ce numéro, Science for Democratic Action v. 11, no. 1, a été publiée en novembre 2002.)

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