par Arjun Makhijani
L'utilisation par les Etats-Unis et ses alliés de munitions à uranium appauvri (UA) pendant la Guerre du Golfe de 1991, puis à nouveau pendant la guerre de l'OTAN-Yougoslavie, est l'un des sujets les plus controversés sur les effets à long terme de ces guerres sur la santé et l'environnement, sinon le plus controversé. L'UA est utilisé pour fabriquer des munitions parce que l'uranium est un métal dur et dense. Les munitions à l'UA sont radioactives, mais elles ne sont pas des bombes atomiques, et leur effet létal ne provient pas de réactions nucléaires de fission. L'UA est composé presque entièrement d'uranium 238, qui n'est pas fissile et ne peut soutenir une réaction en chaîne, bien qu'il puisse être fissionné par des neutrons rapides. Si certains ont traité le problème avec mépris, estimant que les conséquences sont très limitées, d'autres ont affirmé que l'utilisation de ces munitions est une cause essentielle voire la principale cause des affections dont ont souffert aussi bien les vétérans de la Guerre du Golfe que les Irakiens, notamment les enfants vivant dans des zones où se trouvent des résidus d'UA. Dans le prolongement, des questions ont été soulevées quant aux conséquences sur la santé et l'environnement dans les régions de Yougoslavie/du Kosovo où ces munitions ont été utilisées. Une étude détaillée de l'UA, que nous avions initialement envisagé de traiter dans le cadre de notre étude sur la guerre moderne, s'est avérée dépasser largement nos ressources matérielles. Nous avons dû restreindre l'objectif initial de notre travail : de la guerre moderne à des études de cas des bombardements de précision de deux installations en Yougoslavie. Même à ce niveau, il a été très difficile et coûteux de réaliser une étude scientifique pertinente. Les partisans de l'école qui minimise la gravité des munitions à l'UA, ont eu tendance à traiter celle-ci en élargissant simplement au champ de bataille ce qu'on savait déjà sur l'exposition aux rayonnements alpha et gamma à partir d'études sur les ouvriers des usines d'uranium, et des expériences d'exposition à l'uranium menées sur les animaux et sur l'homme depuis des décennies. Je n'appartiens pas à cette école. L'utilisation de munitions à l'UA sur un champ de bataille est une question scientifique, médicale et légale complexe. Par exemple, le Dr Rosalie Bertell a fait remarquer que les munitions à l'UA peuvent brûler en vol à des températures très élevées, et produire des particules très fines présentant les caractéristiques physiques et chimiques d'une céramique, à la différence des composés de l'uranium, notamment les oxydes, qu'on trouve dans les environnements industriels où l'uranium est traité. L'UA de type céramique serait mobilisé beaucoup plus lentement que les autres formes physico-chimiques de l'uranium. La demi-vie biologique des particules d'UA de type céramique dans le corps humain (c'est-à-dire le temps nécessaire pour que la moitié de l'UA inhalé, ingéré ou incorporé soit éliminée du corps) serait beaucoup plus longue que toutes les autres formes chimiques d'uranium actuellement utilisées dans les calculs de dose radiologique par les organismes scientifiques, réglementaires ou consultatifs, nationaux ou internationaux. Par conséquent, l'inhalation de l'UA provenant de la combustion de munitions occasionnerait une dose d'irradiation beaucoup plus importante que l'inhalation de la même quantité d'UA, par exemple, dans une usine où s'effectue le traitement chimique de cette substance. En fait, si l'hypothèse des particules de type céramique, qui m'apparaît scientifiquement raisonnable, est confirmée, on peut s'attendre à ce que ces particules d'UA se comportent plutôt comme les éclats d'obus qui sont logés dans le corps de certains participants à la Guerre du Golfe et que le Pentagone et d'autres reconnaissent comme un problème. Les personnels qui manipulent des obus sont régulièrement et fréquemment exposés aux rayonnements gamma émis par l'UA. Ils devraient donc être considérés comme des travailleurs du nucléaire et devraient pouvoir disposer de badges adéquats pour permettre le suivi de leur dose d'exposition. Malheureusement, ces personnels des forces armées ne sont pas traités comme des travailleurs du nucléaire, ce qui les privent, eux et leurs familles, d'une source d'information essentielle sur les risques sanitaires auxquels ils ont été ou sont encore exposés. En même temps que l'usage de munitions à l'UA sur le champ de bataille en Irak il y a eu une exposition à d'autres risques sanitaires potentiels, notamment à des vaccins expérimentaux, des agents toxiques émis lors des feux des puits de pétrole, et des traces d'armes chimiques. Dans le cas des enfants irakiens, ces problèmes ont probablement été aggravés par la pauvreté résultant des sanctions imposées par les Etats-Unis, et de la répression par Saddam Hussein des Shias qui constituent la grande majorité de la population de la région où se trouve la plus grande partie des résidus d'UA. Le manque de traitements et de diagnostics complique encore le problème de la détection des causes des diverses maladies qui ont affecté les vétérans de la Guerre du Golfe et des populations de la partie sud-est de l'Irak. Les bombardements américano-britanniques de la région depuis décembre 1998 viennent s'ajouter à ce tableau complexe. Inutile de préciser que les conditions d'une étude indépendante seraient encore plus difficiles en Irak qu'en Yougoslavie. Les synergies entre une forme d'uranium avec une longue demi-vie biologique, diverses expositions non radiologiques et, dans le cas des enfants irakiens, toutes sortes d'autres affections, constituent un problème véritablement énorme. Il s'avère que la diversité des symptômes et des maladies qui ont été rapportés ne peut être le seul fait de l'exposition à l'UA. Mais l'UA a très bien pu apporter sa contribution. L'étude des synergies est un domaine complexe et souvent négligé, même dans les conditions relativement contrôlées d'une exposition à l'intérieur d'une usine. Les conditions qui ont régné pendant la Guerre du Golfe de 1991 dans le cas des vétérans, et pendant et après cette guerre pour les Irakiens de cette région, ont généré une situation telle que l'IEER a estimé qu'il ne pouvait pas apporter une contribution utile au débat, au-delà des déclarations du type de celles mentionnées ici, que j'ai, pour certaines d'entre elles, exposées publiquement depuis que ces questions ont été soulevées pour la première fois. L'UA est constitué principalement d'uranium 238, l'isotope de l'uranium le plus abondant à l'état naturel. C'est une matière radioactive, avant tout un déchet, provenant de la fabrication des bombes atomiques et de l'industrie électronucléaire. Sa radioactivité, par unité de masse, est d'environ 60 pour cent de celle de l'uranium naturel. Outre qu'il est radioactif, l'uranium, en tant que métal lourd, est toxique pour les reins. Les munitions à l'UA pourraient très bien s'avérer illégales dans le cadre du droit international dans la mesure où elles menacent les générations à venir à très long terme. En tout état de cause, l'utilisation de munitions à l'UA crée des risques pour les générations qui vivront dans un avenir très lointain et elles devraient être mises hors la loi. En résumé, pour ce qui concerne les causes des problèmes sanitaires, il faut simultanément prendre en compte les aspects radiologiques et de nombreux aspects non radiologiques des menaces pour la santé et l'environnement présents pendant et après la Guerre du Golfe, ainsi que pendant la guerre OTAN-Yougoslavie. Les aspects radiologiques peuvent dominer dans certains cas comme, par exemple, dans le cas des éclats d'UA présents à l'intérieur du corps, les seconds peuvent être le facteur déterminant dans d'autres cas, par exemple pour les gens vivant à proximité des usines chimiques bombardées. Enfin différentes combinaisons de ces facteurs peuvent se conjuguer dans d'autres cas. Il peut également y avoir des maladies ou des symptômes où l'UA est un facteur mineur ou ne joue aucun rôle. Les êtres humains et les écosystèmes réagissent à l'ensemble des agressions qui s'abattent sur eux. Mais notre connaissance de ces effets combinés n'est encore que balbutiante. Les sommes d'argent nécessaires pour traiter ces problèmes seraient modiques par rapport aux sommes qui sont actuellement utilisées pour mener la guerre et fabriquer des engins qui déversent un déluge de mort depuis le ciel. Le fait que ces sommes n'aient pas été octroyées constitue en lui-même un triste et terrible commentaire sur l'état de la volonté politique des grandes puissances qui prévaut aujourd'hui et depuis un certain temps déjà.
1 Rosalie Bertell, "Host Response to Depleted Uranium," novembre 2000, sur le web: www.iicph.org/docs/host_response_to_du.htm. L'UA qui provient de l'uranium recyclé (c'est-à-dire de l'uranium qui a été irradié dans un réacteur) contient de faibles quantités de certains produits de fission (notamment du technétium 99) et quelques transuraniens (comme de l'américium 241 et du plutonium) Ils peuvent contribuer de manière significative à la dose totale des travailleurs pendant la transformation en métal de l'UA. La plupart de ces impuretés sont en principe éliminées pendant le traitement, et ne sont donc en général pas présentes en quantités significatives (par rapport à la radioactivité totale de l'uranium) dans les munitions finies. |
(La version anglaise de ce numéro, Science for Democratic Action v. 11, no. 2, a été publiée en février 2003.)
Mise en place septembre 2003