IEER | Énergie et Sécurité No. 25


L'impérialisme monétaire des Etats-Unis et la guerre en Irak

Par Arjun Makhijani1


Le slogan « Pas de guerre pour le pétrole » a été l'un des plus fréquemment utilisés par le mouvement anti-guerre dans les mois qui ont précédé le lancement par l'administration Bush de sa guerre contre l'Irak le 20 mars 2003. Toutefois, le pétrole présente de multiples facettes. L'une d'elle - la politique des prix du pétrole de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) - n'a que très rarement été évoquée dans le débat public, bien que l'on puisse, en cherchant bien, la trouver dans les interstices du cyberespace.

La domination militaire ne suffit pas pour établir un contrôle impérialiste et une domination économique. Un système monétaire et financier doit accompagner le contrôle militaire. En fait, le degré et l'étendue géographique de l'acceptation de la monnaie d'un Etat impérialiste fournissent une bonne indication de l'ampleur de sa domination.1 Peu nombreux étaient ceux qui, hors de l'Union soviétique, avaient particulièrement envie de posséder des roubles, ainsi la puissance économique de l'Union soviétique était faible même en Europe de l'Est, qu'elle contrôlait militairement et politiquement. Il s'agissait d'une des différences fondamentales entre l'Union soviétique et les Etats-Unis à la fin de la Deuxième guerre mondiale.

En dépit des apparences, et malgré l'écrasante puissance militaire des Etats-Unis, la situation du dollar américain dans le monde est précaire. Il est possible q'une des raisons principales de la volonté des Etats-Unis, de conquérir l'Irak et d'établir sa domination sur ses champs de pétrole, est d'essayer de préserver les bases monétaires d'un impérialisme américain sans concurrence. Pour comprendre le fondement de cette affirmation, un bref historique de l'évolution de l'ordre monétaire qui a suivi la Deuxième guerre mondiale est nécessaire.

En 1945, toutes les plus grandes puissances, victorieuses comme vaincues, à l'exception des Etats-Unis, se sont retrouvées dans diverses situations de destruction et d'endettement. Elles étaient épuisées par la guerre et avaient besoin d'une assistance extérieure pour leur reconstruction. La Grande-Bretagne et la France étaient également soumises à la pression de mouvements indépendantistes dans leurs colonies. Seuls les Etats-Unis sont sortis de la guerre plus riches et plus forts. Ils avaient le monopole des armes nucléaires. Ils étaient le plus grand créancier du monde et assuraient la moitié de la production économique mondiale. Ils exportaient à la fois du pétrole et des capitaux. Ils possédaient les trois quarts des réserves en or de l'ensemble des banques centrales dans le monde.

Envisageant le monde de l'après-guerre, les principales puissances capitalistes parmi les Alliés ont apporté leur accord, au cours d'une conférence en 1944 à Bretton Woods au New Hampshire, à un projet des Etats-Unis qui faisait du dollar américain le point d'ancrage du système monétaire mondial de l'après-guerre. Ce projet était basé sur le fait que les dollars américains auraient, littéralement, la valeur de l'or. Les Etats-Unis ont promis de les échanger au taux fixe de 35 dollars l'once d'or. Cette promesse était basée sur l'important stock d'or de Fort Knox, au Kentucky, et l'immense puissance financière des Etats-Unis. En échange, les Etats-Unis ont obtenu le droit d'émettre la monnaie de réserve au niveau mondial. Le monde était prêt à détenir des dollars parce qu'ils représentaient de l'or à un prix constant et parce que ces derniers étaient émis par le pays le plus riche et le plus puissant du monde.

Au fur et à mesure que l'Europe de l'Ouest s'est relevée des ruines de la guerre, avec des capitaux américains et un copieux approvisionnement quasiment gratuit en pétrole du Moyen-Orient (par rapport au prix final) au cours des deux décennies qui ont suivi 1945, les monnaies des pays européens ont regagné une stabilité locale. A peu près au même moment, en 1964, le Congrès américain a voté la résolution du Golfe du Tonkin qui a conduit à une guerre à grande échelle au Vietnam. La politique des « canons et du beurre » du Président Johnson pendant cette guerre a déclenché une sérieuse inflation mondiale parce que l'inflation sur la devise américaine provoquait aussi une inflation sur les prix mondiaux. En conséquence la confiance dans le dollar a été sapée et les Européens ont commencé la conversion de leurs dollars en or à un rythme plus soutenu.

Cette situation est rapidement devenue ingérable. Entre 1971 et début 1973, le Président Nixon a entièrement supprimé la parité entre dollar et or, abandonnant la promesse de convertibilité faite en 1944, et inaugurant l'ère actuelle de flottement des taux de change des devises. Vint ensuite la guerre israélo-arabe de 1973, l'embargo arabe sur le pétrole et l'augmentation brutale des prix du pétrole. Ceci fut à l'origine d'une double insécurité, à la fois au niveau énergétique et au niveau financier.

Malgré la suppression de la parité avec l'or, le dollar a poursuivi son règne en tant que devise mondiale suprême pour un certain nombre de raisons, notamment la taille inégalée de l'économie américaine et l'absence de devise de remplacement au niveau mondial. La volonté mondiale de détenir des montants croissants de dollars pouvait aussi être expliquée par un autre facteur, qui, aujourd'hui, constitue la principale source de la vulnérabilité monétaire des Etats-Unis dans le Golfe persique. L'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), dont les leaders étaient l'Iran, l'Arabie saoudite et le Venezuela, a décidé de maintenir sa politique de fixation des prix du pétrole en dollars américains. En conséquence, le pétrole, présent sous les sables des pays du Golfe persique, qui possèdent les deux tiers des réserves de pétrole prouvées dans le monde, est devenu le nouveau Fort Knox du dollar.

Tant qu'il n'y avait pas d'autre monnaie pour lui faire concurrence et que la parité pétrole-dollar était maintenue, la plus grande partie du commerce mondial pouvait s'effectuer en dollars. Les pays et les sociétés privées avaient tendance à détenir la plus grande partie de leurs réserves en monnaies étrangères sous forme de dollars. En bref, les Etats-Unis pouvaient contracter des dettes dans leur propre monnaie, le dollar, et importer des marchandises. Pour la plupart des autres pays, les choses étaient bien plus compliquées. Par exemple, les brésiliens détenteurs de leur propre monnaie, le réal, ou les indiens détenteurs de roupies n'avaient aucun pouvoir d'achat réel dans le Golfe Persique si leurs pays n'exportaient pas quelque chose pour gagner des dollars, ou bien en empruntaient.

Le Shah d'Iran était le gardien choisi par les Etats-Unis pour ce nouveau Fort Knox ; il s'avéra des plus précaire. Le peuple iranien, qui n'avait pas d'autre choix pour s'opposer à la répression de la dissidence par le Shah que de le faire dans les mosquées, le renversa avec colère en 1979, dans une révolution islamique dirigée autant contre les Etats-Unis que contre lui. Les cours du pétrole s'envolèrent jusqu'à 40 $ le baril. L'or connut une ascension parallèle jusqu'à plus de 800 $ par once Troy. Le dollar descendit jusqu'à ses niveaux les plus bas de l'après-guerre par rapport aux monnaies européennes. Seules des augmentations draconiennes des taux d'intérêt imposées par le président de la Réserve Fédérale américaine Paul Volcker, désigné à ce poste en urgence par le Président Carter, ont réussi à sauver le dollar.

Le prix fut élevé. Le chômage et l'inflation s'accrurent aux Etats-Unis, amenant la somme des deux - surnommée d'une façon imagée « indice de la misère » par Ronald Reagan, alors candidat à l'élection présidentielle - à ses plus hauts niveaux d'après-guerre. A l'étranger, le paiement des intérêts de nombreuses dettes étrangères augmenta au rythme des taux d'intérêt américains, précipitant ainsi une crise d'endettement dans les pays en voie de développement, à commencer par le Mexique en 1982, qui aurait pu provoquer l'effondrement d'importantes banques américaines. Les emprunts excessifs, partiellement causés par l'inflation mondiale, ont aussi contribué au problème.

Une véritable crise d'endettement commença en 1982, où le Mexique, un exportateur de pétrole, ne pu honorer que de justesse ses paiements. Seule une vague de restructurations dictées par le Fonds monétaire international (FMI), en coopération étroite avec le Département du Trésor américain, permit le sauvetage des banques multinationales mises en difficulté.2 Mais l'application mécanique des « remèdes » du FMI a entraîné une détérioration de la situation des populations actives de nombreux pays criblés de dettes - avec un fort taux de chômage, des salaires réels inférieurs, et une couverture sociale en décrépitude. La dette du Tiers-monde a quasiment été multipliée par cinq (en dollars courants) depuis 1982.

Les problèmes du dollar furent masqués par un certain nombre de facteurs dans les années 1980 et 1990. La chute des cours du pétrole, l'effondrement de l'Union soviétique, l'établissement visible d'une suprématie militaire américaine sans concurrence, les étrangers prêts à investir d'importantes sommes d'argent aux Etats-Unis, le déroulement du processus de paix d'Oslo entre l'Israël et la Palestine et les augmentations spectaculaires des cours de la bourse dans les années 1990, ont placé les Etats-Unis à la tête du monde. Mais cela n'a pas empêché les vulnérabilités de s'accumuler. Elles sont maintenant aiguës et, à de nombreux égards, la situation est plus précaire qu'en 1979 :

  1. Le pouvoir économique est beaucoup plus diffus qu'à la fin de la deuxième guerre mondiale. La part des Etats-Unis dans la production mondiale représente environ 25 pour cent, la moitié de celle qu'ils avaient en 1945.
  2. Les Etats-Unis importent environ 60 pour cent de leurs besoins en pétrole, soit 30 à 40 pour cent de plus que dans les années 1970.
  3. Le déficit des paiements courants américain (c'est-à-dire sur le commerce des biens et services, que j'abrège ici par le terme déficit commercial) est maintenant immense : bien supérieur à 400 milliards de dollars en 2002. Il correspond à un rythme annuel d'environ 500 milliards de dollars pour 2003. Dans les années 1970, les Etats-Unis avaient des déficits aussi bien que des excédents, les deux ne dépassant généralement pas environ 20 milliards de dollars par an. Des déficits commerciaux constants pendant plus de deux décennies ont fait passer les Etats-Unis du statut du pays possédant le plus de créances à celui du plus endetté du monde. On peut se représenter un déficit commercial annuel de 500 milliards de dollars en disant qu'il équivaut à la totalité du Produit national brut de l'Inde aux taux de change actuels. Dans un contexte de marchés boursiers en baisse rapide, les étrangers sont moins enclins à financer les énormes déficits commerciaux qui sont partie intégrante de la gabegie économique américaine qui se poursuit. Les perspectives d'arrivée massive de capitaux européens pour financer le déficit commercial américain sont pour le moins sombres. Les investissements étrangers ont décliné, tout comme le dollar américain. La dette étrangère américaine s'accroît rapidement.
  4. La seule chose positive à long terme des années 1990, c'est-à-dire les excédents budgétaires américains qui ont émergé à la fin de cette décennie, a maintenant disparu dans le rouge des bilans économiques. La dette fédérale brute américaine dépasse maintenant les 6 000 milliards de dollars, soit environ 60 % du PNB. En 1980, elle était inférieure à 1000 milliards soit environ 33 pour cent du PNB. Les réductions d'impôts qui interviennent en 2003 vont très vraisemblablement compliquer ce problème. Une partie considérable de la dette américaine est détenue par des étrangers.
  5. Et ce qui est peut-être encore plus important, l'euro apparaît maintenant comme une alternative crédible, et donc un concurrent possible pour le dollar. Les questions initiales sur sa stabilité, lors de son entrée comme unité de compte en 1999 accompagnée d'une chute face au dollar, se sont dissipées. En 2002, la valeur de l'Euro a surpassé de 20 pourcent celle du dollar. Le 1er janvier 2002, il a été émis sous forme d'une monnaie que les gens peuvent utiliser dans les transactions quotidiennes. Par sa taille économique, la zone euro est comparable aux Etats-Unis. Et, bien que l'Allemagne et la France, les économies les plus importantes de la zone euro, aient connu une faible croissance économique, toutes deux dégagent des excédents commerciaux si bien qu'elles n'ont pas besoin d'entrées de capitaux pour soutenir leur consommation nationale.

La question des ressources pétrolières doit être vue dans le contexte de cette situation économique américaine relativement affaiblie. La maîtrise physique des Etats-Unis sur les ressources pétrolières du Golfe persique, rétablie après la Guerre du Golfe de 1991, a commencé à connaître une érosion importante au milieu des années 1990. La présence à long terme des forces américaines en Arabie Saoudite, la détentrice des plus vastes réserves de pétrole au monde, a été remise en cause violemment par l'organisation Al Quaïda d'Oussama ben Laden. Deux attaques ont eu lieu contre les forces américaines stationnées en Arabie saoudite au milieu des années 1990. Elles sont intervenues dans le contexte d'une accentuation de l'opposition populaire saoudienne à la présence américaine. Le gouvernement saoudien a refusé de collaborer pleinement avec les Etats-Unis dans l'enquête sur les attaques des soldats américains en Arabie saoudite. Les cours bas du pétrole ont entraîné un affaiblissement de la politique intérieure du gouvernement saoudien, qui est largement considéré comme corrompu. Pourtant, la présence militaire américaine en Arabie saoudite dépend de ce gouvernement impopulaire qui adhère au fondamentalisme islamique.

Les attaques terroristes contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie en 1998 ont fait passer à un niveau supérieur l'insécurité de la présence américaine en Arabie saoudite. L'Arabie saoudite a continué à financer et à soutenir les Talibans, qui offraient un refuge à Oussama ben Laden qui, comme Saddam Hussein, était un allié des Etats-Unis dans les années 1980. C'est aussi en 1998 que l'introduction de l'euro est devenue une certitude.

Il apparaît que les Etats-Unis aient décidé de se débarrasser de Saddam Hussein en 1998, indépendamment des résultats du désarmement en Irak auquel procédaient les inspecteurs des Nations unies. A cette époque, l'infrastructure physique du programme nucléaire militaire irakien avait été détruite par les inspections. Mais la réponse de l'administration Clinton a été que Saddam Hussein était un dictateur et que les Etats-Unis devaient travailler avec l'opposition irakienne pour se débarrasser de lui. L'Irak a réduit sa coopération avec les inspecteurs au cours de la deuxième moitié de 1998. Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont intensifié leurs menaces de guerre. Piégés par cette escalade de la crise, les inspecteurs des Nations unies ont quitté l'Iraq en novembre 1998. Les Etats-Unis ont commencé à bombarder l'Irak en décembre, affirmant qu'ils n'avaient pas besoin d'une nouvelle autorisation du Conseil de Sécurité pour le faire.

Le désarmement de l'Irak était un but de guerre qui n'était pas plausible. Au moment où j'écris ces lignes (fin avril 2003), les forces d'occupation américaines n'ont trouvé aucune arme nucléaire, chimique ou biologique. Elles refusent d'autoriser le retour des inspecteurs des Nations unies en Irak. Il est clair également que toute activité de désarmement restant à accomplir en Irak aurait probablement pu être réalisée de manière pacifique, éventuellement avec l'assistance d'un contingent de police des Nations unies suffisant pour protéger les inspecteurs et les aider à entrer dans les lieux dans l éventualité où l'accès leur aurait été refusé.

En outre, les inspections de 1991 à 1998 et de 2002-2003 ont montré leur efficacité à réaliser le désarmement. A l'inverse, le bombardement de vastes zones iraquiennes depuis 1998, et l'absence d'inspections pendant quatre ans, ont suscité plus de questions et d'incertitudes relatives aux stocks irakiens d'armes de destruction massive et toute absence de mesure de désarmement. Il est possible que la guerre de 2003 contre l'Irak ait accru les chances que des officiels irakiens aient transféré des armes de destruction massive dans d'autres pays. En somme, le lien établi par les Etats-Unis entre guerre, changement de régime et désarmement de l'Irak, est pour le moins peu convaincant. En effet, au cours du débat au Conseil de sécurité des Nations unies en 2003, il a été démontré qu'une partie des arguments en faveur de la guerre avancés par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne reposait sur des éléments forgés de toutes pièces ou de fausses déclarations.3

Il existe trois autres liens plus plausibles entre la politique de changement de régime des Etats-Unis et d'autres objectifs. La détermination des Etats-Unis à occuper l'Irak peut avoir trois buts principaux liés au contrôle du pétrole :

  1. Exercer un contrôle physique sur le pays dont les réserves de pétrole occupent le second rang mondial - 112,5 milliards de barils de réserves prouvées, et 220 milliards de barils au total de réserves prouvées et possibles - vue l'opposition croissante à la présence militaire américaine en Arabie saoudite.4
  2. Etablir une présence militaire à long terme dans la région du Golfe persique, de façon à contrôler la principale source d'approvisionnement extérieur de l'Europe de l'Ouest et de la Chine (devenue importatrice de pétrole dans les années 1990). Ceci correspondrait à l'objectif américain visant à empêcher l'une ou l'autre de devenir des rivaux au niveau mondial, ainsi que le suggérait un projet de document du Pentagone sous le premier président Bush, quand Dick Cheney était Secrétaire à la Défense.5
  3. Garantir, par une occupation physique des réserves de pétrole au deuxième rang mondial et par une présence militaire dans la région du Golfe persique qui pourrait permettre une occupation rapide des champs de pétrole saoudiens, que le prix du pétrole reste libellé en dollars. Autrement dit, l'un des objectifs des Etats-Unis, par le biais du contrôle de l'Irak, soit directement, soit à travers un régime qui serait suffisamment souple sur la question de la politique de fixation des prix du pétrole, est peut-être de devenir un acteur central de l'OPEP, quelles que puissent être ses autres caractéristiques politiques.

La possibilité que les prix du pétrole puissent commencer à être libellés en euros a été démontrée par Saddam Hussein à l'automne 2000. A cette époque, il a demandé et obtenu la permission des Nations unies d'être payé en euros pour le pétrole. Mais sa gesticulation à propos de l'euro n'a pas eu d'effet économique concret parce que l'Irak n'était pas en situation de modifier la politique de fixation des prix du pétrole de l'OPEP. Mais l'OPEP collectivement, l'Iran et la Russie ont tous envisagé de fixer les prix du pétrole en euros.

L'occupation américaine de l'Irak pourrait fournir un répit temporaire au dollar parce que les Etats-Unis peuvent exercer une pression sur l'OPEP pour maintenir la fixation des prix du pétrole en dollars. Ceci pourrait permettre aux Etats-Unis de continuer à émettre de la monnaie, et dans une certaine mesure d'accumuler des déficits commerciaux et des dettes étrangères.

Les Etats-Unis pourraient également rétablir la capacité d'exportation pétrolière de l'Irak, obliger à une privatisation de la production et des réserves du pétrole irakien, et imposer un rythme à la production pétrolière irakienne et koweitienne. Ceci pourrait stimuler l'économie américaine en poussant les prix du pétrole à la baisse en 2004, une période d'élections aux Etats-Unis. Néanmoins, bien que cela apporterait d'importants profits aux compagnies pétrolières américaines et constituerait un levier économique commode à court terme du point de vue politique, les problèmes économiques sous-jacents continueraient probablement de s'envenimer au fur et à mesure que les Etats-Unis deviendraient endettés jusqu'au cou, et dépendants de leurs déficits commerciaux et des entrées de capitaux pour maintenir le niveau de consommation national.

Même avec la mainmise sur le pétrole irakien, l'avenir du dollar dépendra dans une large mesure des décisions prises en dehors du domaine du pétrole du Golfe persique. L'arrivée de capitaux aux Etats-Unis, pour financer le commerce américain et une partie des déficits budgétaires, dépend de la confiance dans la valeur du dollar, qui a baissé vis-à-vis de l'euro. Des décisions par la Russie, l'Iran et le Venezuela visant à libeller une partie ou la totalité de leur pétrole en euros pourraient aussi provoquer une liquidation du dollar. Ces facteurs pourraient précipiter une spirale descendante dans laquelle de plus en plus d'individus et d'institutions abandonneraient leurs dollars pour des euros, de l'or ou d'autres actifs, ce qui entraînerait l'aggravation de la baisse de la valeur du dollar et la poursuite des ventes de dollars. Une forte augmentation des taux d'intérêt ou des impôts (ou des deux) aux Etats-Unis serait sans doute nécessaire pour renverser une telle tendance. La récession économique que cela précipiterait pourrait bien être plus grave que celle du début des années 1980.

La poursuite des politiques américaines visant à empêcher l'émergence de l'euro comme rival au niveau mondial pourrait également obliger à une poursuite des démonstrations de force militaires par des menaces, des guerres, des occupations, la mise en place de régimes satellites, et d'importantes dépenses militaires. Les conséquences d'une telle tournure des événements pourraient être dévastatrices pour le monde, y compris pour les Etats-Unis. Cela dépend de la façon dont chacun obéit aux ordres des Etats-Unis sur les questions les plus cruciales (« si vous n'êtes pas avec nous, vous êtes contre nous »). Mais dans un monde débordant de matières nucléaires et d'armes atomiques, la prolifération nucléaire pourrait s'avérer un résultat plus probable que la capitulation, au moins dans certains cas.

La mention du nom de l'Iran comme membre de « l'axe du mal » et la guerre contre l'Irak ont probablement renforcé le lobby pro nucléaire militaire en Iran. Un tel renforcement du lobby pro nucléaire s'est fait en Inde quand les Etats-Unis ont envoyé un porte-avions doté d'armes nucléaires en Baie du Bengale, pour donner un signe de soutien au Pakistan pendant la guerre Inde-Bangladesh en 1971. Des signes de plus en plus nombreux indiquent que le Japon envisage actuellement plus sérieusement d'acquérir des armes nucléaires.6 Etant donné l'écrasante supériorité des forces conventionnelles des Etats-Unis et leur tendance actuelle à faire d'abord la guerre et à poser les questions ensuite, d'autres pays pourraient chercher acquérir des armes nucléaires.7

Ni le triomphe solitaire d'un dollar impérial, ni la confrontation entre le dollar et l'euro pour une domination monétaire mondiale, ne sont souhaitables. Tous deux font courir au monde des risques graves. Le commerce et l'investissement peuvent être poursuivis au niveau mondial avec des instruments monétaires qui sont beaucoup plus équitables. Par exemple, les taux de change des devises peuvent être fixés sur la base de leur valeur sous-jacente, c'est-à-dire sur la productivité moyenne de leurs travailleurs telle qu'elle se traduit dans le pouvoir d'achat de biens et services réalisés localement.8 Un tel système serait plus équitable pour les travailleurs et réduirait l'incitation à l'émigration pour raisons économiques.

Bien sûr, la mise en place d'une orientation tendant à une équité monétaire qui encouragerait un commerce équitable, demanderait une lutte immense, car elle menacerait les immenses profits obtenus par les multinationales grâce à la main d'œuvre et aux ressources bon marché. Mais il est aussi nécessaire de définir les dispositions monétaires qui peuvent accompagner un monde plus juste, de la même manière que les aspects spécifiques du commerce équitable ou du désarmement nucléaire ont été amplement débattus.

Une nouvelle conférence monétaire mondiale, un deuxième Bretton Woods, au cours de laquelle les gouvernements et les peuples pourraient discuter de la façon dont les affaires monétaires et financières du monde peuvent être organisées plus équitablement, est maintenant une nécessité non seulement en termes de justice économique mais aussi de paix. L'alternative est un dollar imposé au monde par la diplomatie du « choc et de l'effroi ».

Lectures recommandées

  1. 1. Pierre Vilar, History of Gold and Money 1450-1920. Londres : Verso, 1990 réédition. Il s'agit du meilleur livre que je connaisse pour faire comprendre les relations entre impérialisme, monnaie mondiale et or.

  2. 2. Pour des documents d'information compréhensibles sur la mondialisation et d'autres questions économiques, consulter le site Internet du Center for Popular Economics, http://www.populareconomics.org/ ainsi que le site de 50 Years is Enough, http://www.50years.org/

  3. 3. En ce qui concerne les théories propres au FMI sur la question de la balance des paiements, voir The Monetary Approach to the Balance of Payments. Washington, D.C.: Fonds monétaire international, 1977.

  4. 4. Arjun Makhijani, From Global Capitalism to Economic Justice, New York: Apex Press, 1992, réimpression in 1996. Seconde édition prévue en 2003. Les chapitres 3 et 11 comprennent des analyses de l'impérialisme monétaire et de ce qui peut être fait à ce propos. A l'annexe A, un article de 1986 par Arjun Makhijani et Robert S. Browne intitulé "Restructuring the International Monetary System" (publié alors par le World Policy Journal), comporte une critique de l'approche du FMI sur la balance des paiements et une analyse des dispositions d'un système monétaire mondial plus équitable

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(La version anglaise de ce numéro, Science for Democratic Action v. 11, no. 3, a été publiée en juin 2003.)

Mise en place décembre 2003


LES NOTES BAS DE PAGE

1 Pierre Vilar, A History of Gold and Money, 1450-1920, traduit en anglais par Judith White. (Londres, Verso, réimpression de 1990)

2 Les sièges du FMI et de la Banque mondiale étaient très commodément situés à Washington, D.C., à quelques rues du Département du Trésor, de façon à ce qu'une telle coordination puisse s'effectuer facilement.

3 Les pièces à conviction sur cette question sont résumées dans l'article de Raymond Whitaker, "Revealed: How the Road to War Was Paved with Lies: Intelligence agencies accuse Bush and Blair of distorting and fabricating evidence in rush to war," The Independent, April 27, 2003, on the web at http://news.independent.co.uk/world/politics/story.jsp?story=400805

4 Michael Klare, "Oiling the Wheels of War," The Nation, 7 octobre, 2002. Pour des données sur le pétrole consulter le site de l'Energy Information Administration sur http://www.eia.doe.gov/emeu/cabs/iraqfull.html.

5 "Excerpts from the Pentagon's Plan: 'Prevent the Re-Emergence of a New Rival'," New York Times, 8 mars 1992.

6 Dan Plesch, "Without the UN Safety Net, Even Japan May Go Nuclear," The Guardian, 28 avril 2003.

7 Greg Easterbrook, "American Power Moves Beyond the Mere Super," New York Times, Week in Review Section, 27 avril 2003, p. 1.

8 Repris de Arjun Makhijani, From Global Capitalism to Economic Justice, New York, Apex Press, 1992.