IEER | Énergie et Sécurité No. 29


La liberté ou le règne de la force en haute mer? Opérations d’interdiction des armes et droit international

Par Devon Chaffee1


La prolifération des armes de destruction massive est un point fort mis en avant par la politique actuelle de sécurité nationale américaine, qui se concentre sur des pays comme l’Irak, l’Iran et la Corée du Nord. Mais au nom de la contre-prolifération, certains responsables américains se prononcent en faveur d’une politique d’interdiction2 des navires qui pourrait contribuer à l’instabilité mondiale en sapant le droit international de la mer.

Au cours des quatre derniers siècles, un système de droit international applicable à la conduite à observer sur les océans a été élaboré de façon à réglementer la compétition entre les puissances navales. Actuellement, le droit international de la mer est constitué d’un droit coutumier international, ou d’un usage particulier habituellement respecté par la plupart des pays du fait d’un sentiment d’obligation légale, et de traités qui peuvent codifier certains aspects du droit coutumier.3 Bien que le droit de la mer interdise certaines activités, ces interdictions ne comprennent pas le transit ou le transfert d’armes, notamment des armes de destruction massive (ADM).4 Cette omission, malgré les sérieuses questions de sécurité qu’elle suscite, coïncide avec la liberté du transit maritime des ADM dont bénéficient les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France, la Russie et d’autres Etats nucléaires.

Au cours des dernières années, les Etats-Unis ont commencé à mener une politique d’interdiction maritime dans le cadre de leur stratégie de non-prolifération, d’une façon qui risque d’entraîner une violation du droit de la mer. Il s’agit des lois mêmes sur lesquelles s’appuient les Etats-Unis pour légitimer leurs propres opérations de transfert et de transit en matière de technologie de missiles, et d’armes et matières nucléaires. Bien que les opérations d’interdiction visant à interrompre le transfert de certaines technologies soient, dans certaines situations. légales dans le cadre du droit international, la récente stratégie de sécurité américaine laisse supposer que les Etats-Unis risquent de ne pas limiter leurs interventions à celles qui sont permises dans le droit international, en réagissant au transit ou au transfert d’ADM qui sont contraires aux intérêts des Etats-Unis. Si les Etats-Unis s’engagent plus avant dans une politique d’interdiction contraire au droit international, cela portera un préjudice important au droit international de la mer. L’un des régimes juridiques les plus importants au niveau international et la liberté et la sécurité qu’il assure à l’ensemble des pays sera également mis en péril.

La portée du droit international de la mer

Le droit de la mer constitue l’un des ensembles les plus complets et les plus complexes du droit international existant. Au-delà de son importance économique et environnementale, le droit international de la mer joue un rôle crucial dans l’instauration d’un environnement international sûr. On peut retrouver l’origine du principe qui sous-tend l’état de droit sur les mers plutôt que le règne de la force dans un opuscule publié en 1609 par le spécialiste de droit public Hugo Grotius, qui soutenait que la liberté en haute mer ne pouvait être soumise à une appropriation privée ou étatique, et que l’usage de la haute mer par un Etat ne doit pas porter atteinte à l’usage des mers par un autre Etat.5

Toutefois, au cours des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, une piraterie approuvée par les Etats (les corsaires), a continué à être utilisée par les puissances navales dominantes comme un moyen de maintenir la domination maritime nécessaire pour contrôler et tirer profit des territoires colonisés.6 Au milieu des années 1950, au moment où les anciennes colonies nouvellement indépendantes ont commencé à établir leur propre autorité sur la mer, les anciennes puissances coloniales ont commencé à rechercher des façons de gérer les mers qui serviraient mieux leurs intérêts.7

Parmi les accords officiels figuraient les Conventions de 1958, qui découlaient de la première conférence des Nations unies sur le Droit à la Mer, qui s’est tenue à Genève. Il s’agissait de : la Convention sur les eaux territoriales et la zone contiguë, la Convention sur la haute mer, la Convention sur le plateau continental, la Convention sur la pêche et la conservation des ressources biologiques de la haute mer, et le Protocole optionnel concernant le Règlement obligatoire des différends.8 Plus de la moitié des Etats participant aux négociations de Genève étaient des pays en voie de développement qui venaient d’être créés et qui disposaient de peu de pouvoir ou d’expérience dans les négociations multilatérales. Beaucoup d’entre eux ont choisi d’ignorer que les accords qui en résultaient se faisaient au profit des puissances coloniales dominantes.9 Les Etats-Unis, toutefois, sont partie aux quatre Conventions de 1958 et au protocole optionnel.

Dans le cadre d’une tentative visant à conjuguer les différents traités et droits coutumiers de la mer dans un régime complet plus universellement acceptable, la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (UNCLOS) a fait l’objet d’un accord en 1982. Le 16 novembre 1994, l’UNCLOS est entrée en vigueur et elle compte actuellement 143 Etats parties.10 Bien que les Etats-Unis aient été fortement impliqués dans le processus de rédaction, le Président Ronald Reagan a décidé de ne pas signer l’UNCLOS, apparemment du fait de certaines dispositions concernant le Plateau continental.11 La position adoptée par les Etats-Unis a par la suite été que les clauses de la convention ne concernant pas les fonds marins correspondent généralement au droit international coutumier.12 Bien que l’UNCLOS se substitue aux conventions de Genève de 1958 sur le droit de la mer, elle ne modifie pas les droits et obligations découlant des autres accords s’ils sont compatibles avec l’UNCLOS.13

Selon l’Article 2 de la Convention de 1958 sur la Haute Mer, la haute mer peut être utilisée par toutes les nations à des fins de navigation. De la même façon, l’Article 90 de l’UNCLOS proclame que « chaque Etat, qu’il soit côtier ou sans littoral, a le droit de faire naviguer en haute mer des navires battant son pavillon. » Outre la liberté en haute mer, les pays disposent aussi du droit de transit à travers les eaux territoriales et archipélagiques et la zone économique exclusive d’un Etat, ainsi qu’à travers les détroits internationaux.14

Ces libertés, attribuées aux Etats du monde entier, et basées sur des lois qui ont été mises en place à travers des décennies de pratique, et codifiées dans des traités internationaux, sont très précieuses pour prévenir les conflits armés entre pays, du type de ceux qui sévissaient aux XVIe et XVIIe siècles. Si le droit de la mer venait à être altéré, il est probable qu’on assisterait à une augmentation du nombre des confrontations armées sur le droit d’utiliser et de contrôler l’espace maritime à diverses fins économiques et militaires.

Restrictions sur les libertés maritimes et tentatives passées de contrôler le transit des armes

Quoique le droit de la mer garantisse plusieurs libertés, il interdit aussi certaines activités et accorde aux Etats le droit d’intervenir si celles-ci sont poursuivies. Les activités interdites sont la piraterie, le commerce des esclaves, le trafic illicite de stupéfiants ou de substances psychotropes et la diffusion radio ou télévision non autorisée.15 Outre leur codification dans le droit de la mer à travers les Conventions de 1958 et de 1982, l’interdiction de ces activités a été codifiée par une série de traités multilatéraux.16 Toutefois, rien dans ces conventions n’interdit explicitement le transit des ADM ni ne donne aux Etats le droit d’interdire un tel transit.

L’UNCLOS est explicite sur le fait que l’interception d’un navire en haute mer n’est pas justifiée sauf si des éléments permettent de suspecter que celui-ci participe à l’une des activités interdites en haute mer, c’est-à-dire la courte liste des activités mentionnées plus haut. Ceci ne s’applique néanmoins pas si le navire n’a pas de nationalité ou refuse d’arborer son pavillon.17 Des dispositions similaires s’appliquent aux détroits internationaux, et les Etats côtiers disposent d’une autorité supplémentaire pour interdire la pollution, la pêche illégale, la mise en danger d’autres navires, ou le chargement et le déchargement de marchandises ou de personnes qui contreviennent aux lois nationales.18 Les Etats côtiers n’ont pas le droit de suspendre le passage inoffensif à travers les détroits.19

Les partisans du désarmement nucléaire et de la non-prolifération ont fait valoir l’argument que le transit des armes nucléaires20 devrait être interdit, au même titre que le transit des esclaves et des stupéfiants, parce que la Cour internationale de justice a maintenant confirmé l’illégalité de la menace ou de l’utilisation des armes nucléaires et que le transit de ces armes se ferait donc en violation de l’Article 301 de l’UNCLOS, qui stipule que :

Dans l'exercice de leurs droits et l'exécution de leurs obligations en vertu de la Convention, les Etats Parties s'abstiennent de recourir à la menace ou à l'emploi de la force contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout Etat, ou de toute autre manière incompatible avec les principes de droit international énoncés dans la Charte des Nations unies.

Un certain nombre d’Etats, notamment les Etats-Unis, se sont activement opposés à l’élaboration de normes et d’interprétations du droit international qui empêcheraient le transit des ADM par les mers ou les airs. Ils invoquent les droits et privilèges établis dans le droit de la mer pour affirmer leur droit à un usage militaire sans entraves des océans. L’ancien président américain Bill Clinton, par exemple, interprétait l’UNCLOS comme un moyen de préserver « le droit pour les armées américaines d’utiliser les océans du monde pour répondre aux exigences de sécurité de la nation. »21 Certains experts américains défendent l’idée que la « sécurité nationale » exige un libre transit des sous-marins américains armés d’armes nucléaires.22

La question du transit des armes nucléaires a constitué une préoccupation constante des Etats-Unis, tout particulièrement au regard des Zones exemptes d’armes nucléaires de certaines régions du monde. Les Etats-Unis, dans les réserves déposées lors de leur ratification des protocoles du Traité de Tlatelolco (Zone exempte d’armes nucléaires en Amérique latine et dans les Caraïbes), ont revendiqué explicitement leur droit de transit et de transport.23 Les cinq Etats dotés d’armes nucléaires du TNP (les Etats-Unis, la France, le Royaume-Uni, la Chine et la Russie) se sont opposés à l’Article 2 du Traité de Bangkok (Zone exempte d’armes nucléaires en Asie du Sud-Est) parce que ce dernier interdit la menace ou l’usage des armes nucléaires dans les limites de la zone économique exclusive, ce texte pouvant être interprété comme une interdiction applicable au transit des armes nucléaires.24 Ces pays n’ont donc pas signé le protocole du traité. En 2000, l’Assemblée Générale des Nations unies a voté une résolution appelant à la création d’une Zone exempte d’armes nucléaires dans l’hémisphère Sud (SHNWFZ), mais les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France et Monaco s’y sont opposés, essentiellement parce qu’ils n’avaient pas obtenu satisfaction sur la question du transit. S’exprimant au nom des trois puissances nucléaires, l’ambassadeur britannique Ian Souter a déclaré (que) :

[Les parrains de la résolution n’ont pas voulu] dissiper nos inquiétudes concernant leur apparent désir de réduire les droits maritimes de libre passage en haute mer. Malheureusement, les parrains de la résolution ont refusé d’intégrer à la résolution les passages applicables de la Loi de la convention de la mer, ainsi que l’assurance explicite que la liberté maritime ne serait pas affectée par leurs intentions.25

À l’inverse, les Philippines ont refusé de parrainer la résolution SHNWFZ, faisant valoir que celle-ci aurait dû condamner explicitement le transit des armes nucléaires sur la base de leur illégalité. Il semble ainsi que les parrains de la résolution cherchaient une voie de compromis, en n’interdisant pas spécifiquement le transit des armes nucléaires, mais en offrant la possibilité d’une telle interdiction, sans interférer avec les diverses interprétations des dispositions du droit de la mer protégeant le passage inoffensif et la liberté de navigation.26

Examen de la légalité des mesures d’interdiction d’armes dans un contexte de non-prolifération

Les Etats-Unis prônent maintenant une initiative visant à utiliser l’interdiction des armes comme un moyen de mettre fin à la prolifération provenant d’États qui préoccupent l’administration Bush. Cette nouvelle orientation est contraire à la politique américaine passée et actuelle, qui exige un droit de transit pour les armes de destruction massive. Dans sa présentation des diverses tactiques de contre-prolifération utilisables, le 4 juin 2003 à la Chambre des Représentants des Etats-Unis, John Bolton, Sous-secrétaire à la Maîtrise des armements et à la sécurité internationale au Département d’État américain, indiquait :

Les efforts d’interdiction jouent aussi un rôle fondamental dans une stratégie d’ensemble de non-prolifération globale. L’interdiction englobe l’identification d’une livraison ou d’un transfert imminent, et les efforts visant à empêcher et renvoyer cette livraison…

[…] Nous venons d’engager des discussions avec plusieurs amis et alliés proches sur l’initiative du Président visant à développer les efforts d’interdiction relatifs aux transports d’ADM ou de missiles à destination ou provenant de pays suscitant des inquiétudes du point de vue la prolifération. Un effort d’interdiction énergique exige une coopération avec des pays partageant la même opinion. […]27

Cet effort de coopération entre « pays partageant la même opinion » est connu sous le nom d’Initiative de sécurité contre la prolifération (ISP). Il associe l’Allemagne, l’Australie, le Canada, le Danemark, l’Espagne, les Etats-Unis, la France, l’Italie, le Japon, la Norvège, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, le Royaume-Uni, Singapour et la Turquie. Lors d’une rencontre à Paris en septembre 2003, les pays de l’ISP ont approuvé un ensemble de « Principes d’interdiction » qui comprenait des engagements précis visant à :

Prendre des mesures efficaces, individuellement ou en coopération avec d’autres pays, pour intercepter le transfert ou le transport d’ADM, de leurs vecteurs et matériels connexes à destination et en provenance d’Etats et d’acteurs non étatiques qui suscitent des préoccupations en matière de prolifération.28

Les pays de l’ISP ont également pris part à des exercices militaires conjoints d’interdiction en septembre 2003 et janvier 2004.29 L’interception d’exportations d’armes et de matériels militaires est censée être un moyen de contrôler la technologie et les matériels. En théorie, ces interceptions pourraient aussi être une manière d’entraver l’économie du pays visé, en particulier celle de la Corée du Nord (ou République populaire démocratique de Corée, RPDC). Dans le cas de la RPDC, les interceptions de transports porteraient probablement sur la technologie des missiles, qui représente des exportations précieuses pour le pays, les matières fissiles (particulièrement le plutonium), et éventuellement des matériels dont le lien avec un programme d’armes nucléaires, chimiques ou biologiques pourrait être justifié.30

L’administration Bush semble envisager l’interdiction des navires et de leur cargaison comme un moyen de pression sur un pays qui s’arrête à deux doigts d’une déclaration de guerre. Toutefois, dans la mesure où la confiscation de la cargaison d’un navire se fait par une intervention physique et l’utilisation ou la menace d’un recours à la force, ces interceptions peuvent être considérées comme plus graves et plus provocatrices que des sanctions économiques. Les implications légales des opérations d’interdiction des armes pour le droit de la mer dépendent largement de la manière dont celles-ci sont entreprises.

Implications légales des interdictions

Le blocus, une option improbable

Comme certains responsables américains ont évoqué la possibilité d’un blocus de la RPDC, il est important d’analyser brièvement les implications légales correspondantes, bien qu’une telle ligne de conduite apparaisse improbable. Un conseiller du Département américain de la Défense a qualifié un tel blocus de formule « cubaine allégée » en référence au blocus opposé aux transports russes de missiles nucléaires vers Cuba en 1962.31

Étant donné qu’aucune démonstration convaincante n’a été faite de la menace posée par le programme d’ADM de la RDPC pour l’intégrité territoriale des Etats-Unis, un blocus complet à l’encontre d’un pays entrepris sans l’accord du Conseil de Sécurité des Nations unies constituerait clairement une violation de l’article 2, paragraphe 5 de la Charte des Nations unies qui prévoit que :

Les Membres de l'Organisation s'abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations unies.

En tout état de cause, étant donné que les responsables de la RPDC ont déclaré que des sanctions économiques seraient considérées comme une déclaration de guerre, un blocus serait traité comme un acte de guerre auquel ils répondraient en conséquence.32

Interdictions intermittentes

Une alternative à un blocus total consisterait à imposer des interdictions intermittentes de navires suspectés de transporter des ADM ou des matériels ou technologies connexes en haute mer ou à travers des détroits internationaux.

Des responsables américains ont claironné que l’interception en octobre 2003 d’un vaisseau allemand transportant les pièces d’une centrifugeuse de Malaisie vers la Libye était un moyen de pression qui a permis d’amener la Libye à abandonner son programme d’armes non conventionnelles.33 Toutefois, on ne sait pas très bien à quel stade en était la Libye dans le développement de sa capacité nucléaire, et il est admis qu’elle n’avait pas encore atteint une capacité de production d’armes nucléaires ni la possibilité d’enrichir de l’uranium. Les inspections n’ont pas non plus découvert de centrifugeuses en fonctionnement.34

Quelle que soit leur efficacité, toute opération d’interdiction, en dehors de celles explicitement autorisées dans le droit international de la mer existant, constituerait clairement une violation de la liberté de navigation en haute mer. Quelles que puissent être les décisions finales du groupe ISP, ces 16 pays ne disposent pas de l’autorité de changer le droit international affectant le reste des 180 autres pays membres des Nations unies sans leur consentement.

Dissiper la confusion entourant le droit de la mer

La presse grand public entretient une certaine confusion vis-à-vis de l’interdiction, en donnant l’impression que cette dernière se situe dans le cadre d’un droit international actuellement établi.35 Il est important de clarifier certains points de la nouvelle politique d’interdiction de l’ISP pour en souligner l’extraordinaire importance.

Les mesures de lutte contre les exportations illégales de stupéfiants de la RPDC font partie des efforts internationaux visant à accroître la pression économique sur ce pays. En avril, la marine australienne a procédé à l’interception d’un navire en provenance de la RPDC censé transporter de l’héroïne, ainsi que l’autorise l’article 108 de l’UNCLOS.36 Certains médias américains et britanniques, pourtant, ont utilisé cet exemple comme un précédent pour l’interdiction des armes. Fin mai, le Financial Times a rapporté que « des politiciens américains [étaient] en train d’échafauder des plans pour exercer une pression sur la fragile économie de la RPDC en réprimant le commerce de stupéfiants et d’armes, et les autres exportations illicites de l’Etat communiste. »37

Associer « les stupéfiants, les armes, et les autres exportations illicites » prête à confusion, dans la mesure où il existe des conventions internationales qui permettent la confiscation en haute mer de stupéfiants illicites,38 alors qu’il n’existe pas de normes d’interdiction ou de confiscation équivalentes pour le commerce des missiles ou d’autres armes de ce type.

Analysant l’incident du So San, au cours duquel les Etats-Unis et l’Espagne ont arraisonné un navire nord-coréen (le So San) transportant des missiles Scud vers le Yémen pour finalement le laisser poursuivre sa route, John Wolfsthal, de la Fondation Carnegie pour la paix internationale, souligne avec finesse que :

Malgré l’inquiétude américaine […] la vente de ces missiles par la RPDC n’a rien d’illégal. Ni la RPDC, ni le Yémen n’ont signé de traité international ou d’accord bilatéral interdisant ce commerce. En réalité, il n’existe aucun traité international interdisant les ventes de missiles, et de nombreux pays, dont les Etats-Unis, vendent des missiles à courte comme à longue portée 39

Les Etats-Unis participent non seulement au transfert d’une technologie pour des missiles et d’une défense par missiles potentiellement déstabilisantes, ils procèdent également à des transferts de plutonium destiné à servir de combustible dans des réacteurs nucléaires, et au déploiement et au transfert d’armes nucléaires à d’autres Etats.40 Il est peu probable que les Etats-Unis seraient favorables à ce que des transferts similaires soient effectués par de nombreux autres pays, au premier rang desquels se trouverait la RPDC.

Il existe un certain nombre d’accords régissant les transferts de missiles, la technologie des missiles et la technologie nucléaire, parmi lesquels figurent le Groupe des fournisseurs d’articles nucléaires (NSG), le Régime de contrôle de la technologie des missiles (MTCR), le Groupe d’Australie et l’Arrangement de Wassenaar.41 Toutefois, ces régimes ne s’appliquent pas aux transferts entre Etats qui n’adhèrent pas volontairement à l’un de ces régimes. Par ailleurs, le NSG lui-même est un groupe ad hoc, comme l’ISP, lequel a été mis en place en dehors du cadre du TNP parce que les Etats détenteurs d’armes nucléaires et leurs alliés, sous la conduite des Etats-Unis, préfèrent exercer une autorité à l’extérieur d’instances plus multilatérales dans lesquelles leurs objectifs pourraient être remis en cause par des Etats ayant des intérêts contraires.

Outre qu’elle ne participe à aucun des régimes de contrôle des exportations de missiles, la RPDC n’est pas signataire de la Convention sur les armes chimiques et n’adhère plus au régime du TNP ; de ce fait, elle n’est pas liée légalement par les obligations de ces traités. La RPDC ne pourrait être concernée par ces traités que par le fait qu’ils interdisent aux Etats parties de fournir certains matériels à tout autre Etat, y compris à un Etat qui ne serait pas partie, tel que la RPDC.

Les actualités de la BBC ont rapporté les propos du ministre australien des Affaires étrangères, Alexander Downer, qui admettait qu’il y avait « une difficulté bien réelle concernant les vaisseaux qui pourraient parcourir la haute mer, puisque le droit international stipule que ces navires ne doivent pas être interceptés. »42 « Nous travaillons encore sur la question de savoir si des modifications du droit international sont nécessaires pour faciliter ce type d’opérations d’interdiction pour mettre un terme à un commerce illicite » a ajouté M. Downer, sans préciser la manière dont ces changements pourraient intervenir.

Tout encourageant qu’il soit d’entendre M. Downer exprimer son inquiétude sur le problème du respect du droit international, le processus de mise en place de normes juridiques internationales n’est pas aussi simple que peut le laisser supposer sa déclaration. En l’absence de toutes négociations multilatérales officielles sur les traités, il est difficile de voir comment les Etats-Unis et sa coalition de pays volontaires pourraient « modifier », sans la participation de pays qui ne partagent pas sa position, le droit international de la mer pour permettre des opérations discriminatoires d’interdiction des armes. Si les Etats-Unis veulent proposer une modification légitime du droit international de la mer, ils devraient d’abord ratifier le traité UNCLOS et travailler au sein du régime de traité multilatéral déjà en place.

Accords bilatéraux : l’exemple du Liberia

La conclusion d’accords bilatéraux entre les Etats-Unis et des pays spécifiques lui permet également de procéder à des opérations d’interdiction intermittentes. Les Etats-Unis peuvent ainsi arraisonner et fouiller des navires battant le pavillon de ces pays. Le 11 février 2004, les Etats-Unis ont conclu avec le Liberia un accord qui permettra à chacun de monter à bord des navires enregistrés dans l’autre pays.44

Selon le porte-parole du Département d’Etat américain Richard Boucher, l’accord permet aux Etats-Unis de fouiller tout navire suspecté de transporter des ADM, leurs systèmes de vecteurs ou des matériels connexes.45 Plus de 2000 navires étrangers arborent le pavillon libérien, dans la mesure où le Liberia offre un pavillon de complaisance à un certain nombre de flottes de commerce, ce qui place le registre maritime de ce pays au second rang mondial.46 Les Etats-Unis pourraient chercher à établir des accords bilatéraux similaires avec d’autres (pays) affréteurs.47

L’efficacité potentielle du modèle libérien n’est pas très claire. Il semblerait qu’un système d’accords bilatéraux pourrait être facilement contourné en utilisant des navires enregistrés dans des pays ne disposant pas de ce régime. Une approche bilatérale de l’interdiction risque cependant de saper le caractère multilatéral du régime de l’UNCLOS, tout comme d’autres accords bilatéraux réalisés par l’administration Bush ont porté atteinte à d’autres structures multilatérales associées. La préférence croissante de l’administration Bush, visant à l’obtention d’accords bilatéraux comme moyen pour contourner ou saper activement les structures multilatérales existantes, est évidente dans de récents accords commerciaux bilatéraux et dans les accords accordant l’immunité aux citoyens américains (y compris aux militaires) vis-à-vis de la Cour criminelle internationale (CCI).48

Il est probable que les accords commerciaux bilatéraux sont motivés par l’espoir de se soustraire aux décisions du groupe des 21 pays en voie de développement qui ont été capables de collaborer et de remettre en cause les objectifs des nations développées au cours des négociations de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à Cancun, au Mexique.49 Le cadre bilatéral place les pays les moins puissants en position plus désavantageuse pendant des négociations fortement marquées par des différences de pouvoir et des besoins d’assistance.50 Cette stratégie de négociation a été ouvertement brandie par l’administration Bush quand elle a menacé de supprimer l’aide et la formation militaires à au moins 35 pays qui n’avaient pas encore signé des accords offrant aux citoyens américains l’immunité vis-à-vis de la CCI en juillet 2003.51

Alors que la réalisation d’accords bilatéraux menace d’affaiblir les régimes multilatéraux comme l’OMC et la CCI, des accords bilatéraux du type de celui conclu avec le Liberia peuvent potentiellement fragiliser le cadre multilatéral recherché à travers l’UNCLOS. La pression de l’aide et des disparités de pouvoirs risque aussi d’être un outil pour obtenir un régime d’interception qui place le calendrier politique des Etats-Unis au-dessus de l’intégrité du droit international. Ainsi, lors d’une conférence co-organisée par les Etats-Unis visant à aborder les besoins du Liberia pour sa reconstruction, moins d’une semaine avant la date annoncée pour la signature de l’accord sur les opérations d’interdiction, Colin Powell s’est engagé à une somme de 200 millions de dollars pour l’aide humanitaire et la reconstruction, et à 245 millions de dollars pour une aide au maintien de la paix au Liberia.52 Il est difficile d’imaginer que le pouvoir issu de promesses faites avec autant d’à propos n’a pas influencé les négociations sur les accords d’interdiction.

Approches légales des opérations d’interdiction

Passer par les Nations unies

L’Union européenne (UE) envisage aussi d’intégrer des mesures d’interdiction d’armes dans sa stratégie de non-prolifération, mais la doctrine qu’elle propose fait appel à une participation du Conseil de sécurité des Nations unies. Aussi bien les Principes de base pour une stratégie européenne contre la prolifération des armes de destruction massive que le Plan d’action qui lui correspond, adoptés par le Conseil européen du 15 avril 2003, font référence à l’interception de transports liés aux ADM. Le Plan d’action indique que :

L’UE devrait explorer la possibilité d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies identifiant la dissémination des ADM et de leurs vecteurs comme une menace pour la paix et la sécurité internationales. L’UE devrait appuyer une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies demandant, le cas échéant, aux pays d’empêcher les transports maritimes ou aériens des matériels destinés à des ADM.53

Et pourtant, le Conseil de sécurité fait intervenir bien moins de pays que le processus complet de négociation d’un traité multilatéral qui a abouti à la mise en place de l’UNCLOS. Il est aussi très improbable que la Russie ou la Chine, toutes deux membres permanents du Conseil de sécurité et disposant d’un droit de veto, et toutes deux refusant de se joindre à l’ISP, admettraient une résolution appuyant des mesures d’interdiction discriminatoires. Il est tout aussi improbable que tout membre permanent du Conseil de sécurité, y compris les Etats-Unis, soutienne une interdiction non discriminatoire de ces transports. Étant donné les obstacles à un processus passant par les Nations unies, d’autres moyens, qui ne violeraient pas les principes du droit de la mer, sont actuellement discutés par l’ISP pour lutter contre le transfert des armes de destruction massive et des matériels et technologies connexes.

Pressions imposées à travers un contrôle des exportations et des sanctions

Des pays spécifiques peuvent créer et renforcer leurs lois en interdisant à leurs ressortissants et compagnies nationales de fournir des technologies ou des matériels militaires à la RPDC et à d’autres pays cherchant à développer des ADM. Ces mesures sont appelées « contrôles des exportations » lorsqu’elles visent des technologies spécifiques, et « sanctions » lorsque des pays spécifiques en sont la cible.

Par exemple, l’Allemagne dispose d’une autorité lui permettant de poursuivre les directeurs d’une société allemande qui ont cherché à fournir des tubes en aluminium pour le programme nucléaire de la RPDC, en violation d’une réglementation allemande, à la suite de la saisie d’une cargaison début avril 2003.54

De telles sanctions sont plus convaincantes dans le cas d’une collaboration avec un consortium de pays qui appliquent des interdictions similaires au niveau national. Il leur manque néanmoins la légitimité attachée à un processus multilatéral plus formel, parce qu’elles tentent d’imposer des réglementations à des pays qui n’ont pas eu voix au chapitre lors de leur création. Cela contribue également à la perpétuation d’un double standard nucléaire, parce que ces réglementations ne s’imposeraient probablement pas aux pays du TNP détenteurs d’armes nucléaires, qui affaiblissent ou transgressent les dispositions de ce traité qui les oblige à mettre fin à la course aux armes nucléaires et à poursuivre le désarmement nucléaire, en application de l’Article VI du TNP.

Réglementer le transit dans les eaux territoriales : un regard neuf sur la position néo-zélandaise

En adoptant une législation nationale des pays peuvent aussi tenter d’interdire le transit de certaines armes et matériels dans leurs eaux territoriales et autres zones situées sous leur juridiction. La déclaration finale de la réunion de l’ISP à Brisbane en juillet 2003 laissait supposer que le groupe ISP travaille avec des Etats côtiers ou de transit occupant une position clé, ou des Etats dont les pays rechercheraient probablement l’appui dans leurs efforts contre la prolifération des AMD, sans doute de façon à ce que ces Etats permettent ou procèdent à des interdictions sur leur territoire.55 Telle est la stratégie prônée dans les « Principes d’interdiction » récemment rendus publics par l’ISP,56 et qui sont déjà mis en application au Japon vis-à-vis de transports de la RPDC jugés suspects par le gouvernement japonais.57

Les limites d’une telle initiative tiennent, bien sûr, au fait que la participation des Etats est purement volontaire. La Chine, par exemple, pourrait accepter d’interdire certains transports de matières fissiles en provenance de la RPDC, mais il est moins probable qu’elle prenne des mesures d’interdiction sur des transports de missiles ou d’autres technologies liées moins directement aux ADM, étant donné la coopération soupçonnée de la Chine avec le Pakistan et l’Arabie saoudite en ce domaine.58

Par ailleurs, si les Etats-Unis engagent une campagne d’opérations d’interdiction des ADM dans les eaux nationales, d’autres pays pourraient envisager d’empêcher le transit des ADM américaines dans leur territoire. Par exemple, quand la Nouvelle-Zélande a décrété qu’il était illégal de faire entrer dans ses ports ou ses eaux intérieures des navires à propulsion nucléaire ou transportant des armes nucléaires, les Etats-Unis ont soutenu qu’une telle législation violait les notions d’immunité souveraine, et ont refusé de confirmer ou démentir la présence d’armes nucléaires à bord des navires américains.59 Une telle position devient encore moins tenable si les Etats-Unis incitent les autres pays à instituer une législation plus sévère pour empêcher le transit de technologies et matériels liés aux ADM.

La domination militaire américaine et le contrôle des mers

Un éditorial du New York Times sur les nouvelles politiques d’interdiction américaines fait observer :

Il est encourageant de voir que l’administration Bush propose maintenant de nouvelles idées très intéressantes pour renforcer la coopération internationale en ce domaine. Cet effort est particulièrement remarquable au vu des déplorables actions passées de l’administration consistant à dévaloriser des approches internationales de la maîtrise des armements.60

Cette conclusion est peu judicieuse, puisque cette approche ad hoc fragiliserait le droit de la mer. Cette approche s’inscrit dans la tendance actuelle de la politique américaine visant à supprimer des normes qui sont importantes pour la sécurité mondiale, mais qui limitent la possibilité pour les Etats-Unis d’exercer une domination militaire quand cela correspond à leurs objectifs politiques à court terme.

Les Etats-Unis ont délaissé les solutions de non-prolifération multilatérales, en se retirant du Traité anti-missiles balistiques, en abandonnant START II en dépit de ses obligations dans le cadre du TNP, en s’abstenant de ratifier le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires, en paralysant les tentatives d’amélioration du régime de la Convention sur les armes biologiques, tout en prônant en même temps l’usage de la force et d’autres tactiques de contre-prolifération, comme dans le cas de l’invasion de l’Irak.61 Il semble que, du fait de leur puissance militaire, la mentalité officielle des Etats-Unis veut qu’ils puissent échapper aux normes internationales et placer les moyens militaires au-dessus de tous les autres pour atteindre la sécurité internationale.

Aussi, bien que l’administration Bush ait peut-être réellement envie de porter un coup d’arrêt à la prolifération des armes nucléaires à travers des politiques d’interdiction, l’histoire récente laisse penser que l’administration mènera probablement sa politique d’interdictions d’une manière qui affaiblit les restrictions du recours à la force des Etats-Unis en haute mer. En utilisant des accords bilatéraux et des petites coalitions, l’administration semble mener une politique d’activité maritime qui peut être appliquée de manière sélective avec une réciprocité minimale, par des moyens qui contournent et portent atteinte aux objectifs de l’UNCLOS.

L’invasion de l’Irak permet de retirer de nombreuses leçons sur l’approche de la politique de non-prolifération et de contre-prolifération de l’administration Bush. En envahissant l’Irak, les Etats-Unis n’ont pas réussi à obtenir l’approbation du Conseil de Sécurité des Nations unies, mais ont malgré cela engagé une action avec une coalition d’alliés peu cohérente, en violation de la Charte des Nations unies.

De la même manière, les Etats-Unis travaillent avec une alliance peu structurée sur l’interdiction des armes (l’ISP) ne possédant pas de structure de décision qui pourrait réfréner les interventions des Etats-Unis. Ceci indique que les Etats-Unis, en violation de l’UNCLOS, n’attendraient probablement pas l’approbation des Nations unies pour entreprendre des opérations d’interdiction en haute mer. Une telle politique ne ferait qu’aggraver le coup porté, par l’invasion américaine en l’Irak, à la capacité des Nations unies à jouer le rôle d’arbitre indépendant et plus neutre dans la protection de la sécurité internationale. L’absence apparente des prétendues AMD en Irak ne fait que fragiliser un peu plus la légitimité des Etats-Unis ou d’une ISP conduite par les Etats-Unis pour réclamer l’interception en haute mer des navires de la RPDC.62

La voie à suivre

La restriction du transit des armes de destruction massive représenterait une évolution positive pour poursuivre la maîtrise des armements et l’arrêt de la prolifération, si ces normes étaient soigneusement élaborées par la communauté internationale et appliquées sans faire de distinction. Le droit international ne peut néanmoins pas conserver son intégrité s’il est appliqué de façon capricieuse ou discriminatoire, ou s’il est défini par une petite « coalition de pays volontaires ».

Une application sans distinction signifie avant tout qu’il doit exister des dispositions explicites et une mise en œuvre basée sur l’égalité devant la loi des puissants et des faibles, au moins en principe. Même si l’appartenance à l’ISP peut apparaître comme une façon simple pour les dirigeants de certains pays de retrouver les bonnes grâces de l’administration Bush après les désaccords sur l’Irak, il est probable qu’elle reviendra les tourmenter parce qu’elle contribuera à la dégradation du droit de la mer.

Les inspections et opérations d’interdiction en haute mer peuvent être conçues de façon à être compatibles avec le droit maritime et à le renforcer. Étant donné que la Cour internationale de justice a déclaré que la menace ou l’utilisation des armes nucléaires était illégale dans pratiquement toutes les circonstances, il est essentiel de créer des règles concernant la présence en haute mer des ADM, particulièrement les armes nucléaires, qui s’appliquent à tous de la même manière, que les Etats soient dotés d’armes nucléaires ou non.

La création de mécanismes d’inspection et, le cas échéant, de mécanismes d’interdiction pour les armes de destruction massive et même les missiles, peut et devrait faire partie d’une extension de l’UNCLOS, des précédents existant à cet égard. Cela fournirait des mécanismes qui constitueraient un complément adapté à la non-prolifération et viendraient compléter les obligations de désarmement nucléaire du Traité de non-prolifération nucléaire. Enfin, les Etats-Unis devraient ratifier l’UNCLOS et favoriser son renforcement.

Les mers et océans du monde représentent environ les trois quarts de la surface de la terre. L’importance des règles qui régissent cette vaste étendue ne doit pas être sous-estimée. Si les dirigeants des Etats participant à l’ISP tentent d’échanger le droit de la mer contre des mesures de non-prolifération sélectives, ils doivent se rendre compte que le compromis pourrait finir par restreindre l’accès aux eaux internationales de leur propre pays.

Des dirigeants chinois expriment déjà leur inquiétude sur le fait que les interdictions de l’ISP pourraient aggraver les tensions militaires et interférer avec la navigation légitime en Asie du Sud-Est. Le Conseil d’Etat chinois a publié un document concernant l’ISP qui affirme que :

L’unilatéralisme et les doubles standards doivent être abandonnés, et il faut accorder une grande importance et toute sa mesure au rôle des Nations unies.63

Quand il a refusé de rejoindre l’ISP, début février 2004, le gouvernement russe a également fait connaître sa préoccupation quant à la légalité des activités de l’Initiative.64

Si des membres de la communauté internationale, pour se mettre au diapason de la seule superpuissance existante, commencent à laisser faire une fragilisation du droit de la mer, cela ne présage rien de bon pour la démocratie mondiale et l’état de droit.


LES NOTES BAS DE PAGE

1 Devon Chaffee a été Coordinateur Recherche et Argumentaires de la Nuclear Age Peace Foundation et est actuellement étudiante au Georgetown University Law Center. Les opinions exprimées sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de l’IEER.

2 Interdiction : interception de navires pour déterminer si des activités interdites sont menées.

3 Military and Paramilitary Activities (Nicar. v. U.S.), 1986 I.C.J. 14, 111 (27 juin).

4 Le terme transit fait référence au mouvement maritime d’armes ou de matériels militaires ou de technologie militaire, comme c’est le cas pour les sous-marins en patrouille. Le terme transfert fait référence à un transit avec l’intention de transmettre partiellement ou en totalité le contrôle d’armes, de matériel ou de technologie à une autre partie, comme dans le cas des ventes de technologies de missiles.

5 Malcolm N. Shaw, International Law, Third edition (Cambridge: Grotius Publications, 1991), p 363.

6 Voir "Piracy and World History: An Economic Perspective on Maritime Predation," in C.R. Pennell, ed., Bandits at Sea, (New York: New York University Press, 2001), p. 90 et 94.

7 En août 1952, le Chili, l’Équateur et le Pérou ont affirmé leur souveraineté sur les mers adjacentes jusqu’à une distance de 200 milles marins depuis la côte, à un moment où une attitude expansionniste devenait de plus en plus prédominante dans l’Organisation des Etats américains. Consulter James B. Morell, The Law of the Sea: An Historical Analysis of the 1982 Treaty and Its Rejection by the United States (Jefferson, North Carolina: McFarland & Company, Inc., 1992), p. 5.

8 Pour trouver un résumé de ces textes, on pourra consulter : Nations unies, Commission du droit international, Conventions and Other Texts. Sur le web : http://www.un.org/law/ilc/convents.htm.

9 Morell, 1992, op. cit., p. 7-9.

10 Voir le site web du tribunal du Droit international de la mer sur http://www.itlos.org et le texte de l’UNCLOS sur le site web Océans et droit de la mer sur : http://www.un.org/Depts/los/convention_agreements/convention_overview_convention.htm.

11 Les Etats-Unis ont toutefois signé l’Accord de 1994 relatif à l’application de la Partie XI de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer portant sur la propriété des fonds marins et les préoccupations environnementales. Pour la liste des signataires, voir http://www.un.org/Depts/los/reference_files/status2003.pdf. Pour des informations sur les craintes de Reagan voir Morell, 1992, op. cit., p. 95.

12 Morell, 1992, op. cit., p. 95; Rest. 3rd, Restatement of the Foreign Relations Law of the United States: 85.

13 Voir UNCLOS Article 311.

14 Le transit dans les eaux territoriales est limité au passage inoffensif. Selon la Convention de 1958 sur la Mer territoriale, « le passage est inoffensif aussi longtemps qu’il ne porte pas atteinte à la paix, au bon ordre ou à la sécurité de l’Etat côtier. » Selon la Convention de 1982, la mer territoriale s’étend jusqu’à 12 milles marins de la côte d’un Etat ; une zone économique exclusive (ZEE) va jusqu’à 200 milles marins de la côte d’un Etat ; les eaux archipélagiques s’appliquent à des Etats qui sont constitués en totalité par un groupe d’îles et les eaux attenantes (limitées en longueur à 100-125 milles marins). Un détroit international est un passage à travers des eaux territoriales qui réunit des portions de haute mer.

15 L’article 109 (2) de l’UNCLOS définit les émissions non autorisées comme « les émissions de radio ou de télévision diffusées à l'intention du grand public depuis un navire ou une installation en haute mer en violation des règlements internationaux, à l'exclusion de la transmission des appels de détresse. » Voir http://www.un.org/Depts/los/convention_agreements/texts/unclos/closindx.htm.

16 Parmi ceux-ci figurent la Loi générale de 1890 sur la répression du commerce des esclaves et l’Accord européen de 1965 sur la Prévention d’émissions transmises depuis des stations situées en dehors des territoires nationaux.

17 UNCLOS Article 110.

18 UNCLOS Article 42.

19 UNCLOS Article 45.

20 Voir par exemple, Submission to the Select Committee on Foreign Affairs, Defence and Trade on the New Zealand Nuclear Free Zone Extension Bill, Association internationale des juristes contre les armes nucléaires, Aotearoa New Zealand Branch (Parnell, Auckland, New Zealand, 2001) sur le site Internet suivant : http://www.lcnp.org/disarmament/nwfz/submission%20on%20NWF2.htm. L’Avis consultatif de la Cour internationale de justice sur la licéité de la menace ou de l’utilisation des armes nucléaires (CIJ, 1996) peut être consulté sur le web sur : http://www.dfat.gov.au/intorgs/icj_nuc/icj_nuclear_weapons.html.

21 William J. Clinton, "The Law of the Sea Convention: Letter to the Senate", 6 octobre 1994, U.S. Department. of State Dispatch, Vol. 5, No.42, 17 octobre,1994. Sur le web : http://dosfan.lib.uic.edu/ERC/briefing/dispatch/1994/html/Dispatchv5no42.html.

22 Voir par exemple, Mark Rosen, "Nuclear-Weapon-Free-Zones," Naval War College Review, Vol. XLIX, No. 4 Automne 1996. Sur le web : http://www.nwc.navy.mil/press/Review/1996/autumn/free-a96.htm.

23 Traité sur l’interdiction des armes nucléaires en Amérique latine et dans les Caraïbes (Traité de Tlatelolco), Département d’Etat américain, Bureau de la non-prolifération. Sur le web : http://www.state.gov/t/ac/trt/4796.htm.

24 Le Traité portant création d’une zone exempte d’armes nucléaires en Asie du Sud-Est (Traité de Bangkok) s’est ouvert à la signature le 15 décembre 1995. Sur le web : http://www.opanal.org/NWFZ/Bangkok/Bangkok-iT.htm#2 Pour une analyse de l’opposition à ce traité, voir Inventory of International Nonproliferation Organizations & Regimes, par le Center for Nonproliferation Studies. Sur le web : http://cns.miis.edu/pubs/inven/pdfs/seanwfz.pdf.

25 Commentaires sur le web : http://www.delegfrance-cd-geneve.org/chapter2/soutar_311000_l19.htm. Il est à noter que la résolution fait référence à la « liberté en haute mer » et à la Convention sur le droit de la mer mais, selon les parrains de la Résolution, les trois pays en désaccord voulaient également faire référence au droit international coutumier. Voir la Résolution de l’Assemblée générale de l’ONU : 55/33 I, sur l’Hémisphère sud et les zones adjacentes exempts d’armes nucléaires, votée le 20 novembre 2000. Sur le web : http://disarmament.un.org:8080/vote.nsf/0/1339496b47ee610a852569840053aeeb?OpenDocument&ExpandSection=5 .

26 Devon Chaffee et Jim Wurst, "Strengthening Existing Nuclear Weapon Free Zones." Préparée initialement pour le colloque d’Uppsala (Suède) sur les zones exemptes d’armes nucléaires, en septembre 2000. Révision en avril 2002. Sur le web : http://www.lcnp.org/disarmament/nwfz/StrengtheningExistingNWFZ.htm.

27 Témoignage devant le Comité sur les relations internationales de la Chambre des représentants des Etats-Unis, 4 juin 2003. Sur le web : http://wwwa.house.gov/international_relations/108/bolt0604.htm.

28 « Déclaration sur les principes d’interdiction », déclaration publiée par l’Initiative de sécurité sur la prolifération (ISP), Paris, 4 septembre 2003. Sur le web : http://www.state.gov/t/np/rls/fs/23764.htm.

29 "Singapore Naval Ship Joins PSI Exercise," Kyodo News Service, 12 janvier 2004.

30 R. James Woosley, "The Next Korean War," The Moscow Times, 5 août 2003.

31 Il est à remarquer que même dans le cas de l’Union soviétique, qui avait installé des missiles dotés d’ogives nucléaires à environ 90 miles (144 km) de la côte des Etats-Unis, l’administration Kennedy avait toutefois éprouvé le besoin d’obtenir l’approbation de l’Organisation des Etats américains avant de mettre en œuvre le blocus. Voir : http://www.telegraph.co.uk/news/main.jhtml?xml=/news/2003/04/27/wkor27.xml et http://home.att.net/~slomansonb/CubanMissile.html. De plus, le blocus de Cuba était plus proportionné à la menace pesant sur les Etats-Unis : L’URSS ayant placé sur le sol cubain des missiles à capacité nucléaire qui pouvaient atteindre le territoire américain et fabriqué les ogives nucléaires pour ces missiles les Etats-Unis ont répondu par un embargo limité à Cuba, à l’exclusion d’autres pays dans lesquels l’URSS déployait sa technologie nucléaire et de l’URSS elle-même. Malgré cela, dans sa lettre au Président Kennedy le 24 octobre 1962, le premier ministre soviétique Nikita Kroutchev faisait valoir que le blocus représentait une violation des « normes réglementant la navigation en haute mer, dans les eaux internationales. » Lettre sur le web : http://www.atomicarchive.com/Docs/khrushchevletter1.shtml.

32 "N. Korea Says Blockade Means War," CBS News.com sur le web : http://www.cbsnews.com/stories/2003/06/18/world/main559179.shtml.

33 Robin Wright, "Ship Incident May Have Swayed Libya," Washington Post, 1er janvier 2004. Pour un document de synthèse sur les récents événements en Libye, voir : http://www.ceip.org/files/projects/npp/resources/Factsheets/developmentsinlibya.htm.

34 Anjali Bhattacharjee et Sammy Salama, "Libya and Nonproliferation," Center for Nonproliferation Studies, Monterey Institute, 24 décembre 2003. Sur le web : http://cns.miis.edu/pubs/week/031223.htm.

35 Voir par exemple, Joby Warrick, "The Gray Zone: Cargo of Mass Destruction on DPRK Feighter, a Hidden Missile Factory" Washington Post, 14 août 2003, p. A01; et, Andrew Ward et David Pilling, "U.S. Considers Blockade to Put Pressure on N. Korea," Financial Times, 23 mai 2003, p. 7.

36 Voir : Doug Struck, "Heroin Trail Leads to North Korea; Freighter Delivered Shipment of Drugs To Australian Coast," Washington Post, 12 mai 2003, p. A01.

37 Ward and Pilling, 2003, op. cit.

38 Voir l’article 17 de la Convention des Nations unies contre le trafic illicite des narcotiques et des substances psychotropes. Sur le web : http://www.unodc.org/pdf/convention_1988_en.pdf.

39 Jon Wolfsthal, "Stopping Missiles at Their Source," Carnegie Endowment for International Peace, 11 décembre 2002. Sur le web : http://www.ceip.org/files/nonprolif/templates/article.asp?NewsID=4076.

40 Pour plus d’information sur les transferts de plutonium américains voir le communiqué de presse du Département de l’Energie, "Plutonium Accounting Released, New Classification Approach Proposed," 6 février 1996. Sur le web : http://www.fas.org/news/usa/1996/pr96009.html. Les Etats-Unis ont déployé des armes nucléaires en Belgique, en Allemagne, en Grèce, en Italie, aux Pays-Bas, en Turquie et au Royaume-Uni, et ont signé des accords autorisant le transfert de ces armes à ces Etats en temps de guerre. Ces dispositions pourraient enfreindre les obligations des Etats-Unis dans le cadre du TNP, qui interdisent le transfert d’armes nucléaires, et les obligations des pays d’accueil qui reçoivent des armes nucléaires. Voir Martin Butcher, Otfried Nassauer, Tanya Padberg and Dan Plesch, Questions of Command and Control: NATO, Nuclear Sharing and the NPT, PENN Research Report, 2000.1, Project on European Nuclear Non-Proliferation, mars 2000, p. 23. Sur le web : http://www.bits.de/public/pdf/00-1command.pdf. Voir également Otfried Nassauer, "Nuclear Sharing in NATO: Is it Legal?" dans Energie et Sécurité n° 17. Sur le web : http://www.ieer.org/sdafiles/v0ol_9/9-3/nato.html.

41 Pour plus d’informations sur le MTCR, voir http://www.state.gov/t/np/rls/fs/2001/5340.htm et http://www.armscontrol.org/factsheets/mtcr.asp. Les préoccupations du Groupe d’Australie sur les armes chimiques et biologiques sont décrites sur http://www.australiagroup.net. Pour des informations sur l’Accord de Wassenaar voir http://www.wassenaar.org.

42 "N. Korea Ships Face More Scrutiny," BBC, 11 juin 2003. Sur le web : http://news.bbc.co.uk/2/hi/asia-pacific/2980418.stm.

43 Sonni Efron et Barbara Demick, "11 nations to Discuss Blocking Shipments of Weapons Materials," Los Angeles Times. 2 juin 2003.

44 "Liberia; Country Joins War Against Weapons of Mass Destruction, Signs Agreement With United States," Africa News, 17 février 2004.

45 "Pact allows U.S. search rights on thousands of ships," Chicago Tribune, 14 février 2004, p. 6.

46 Ibid.; "U.S., Liberia in deal to search ships for WMD," Agence France Presse 13 février 2004.

47 "Liberia; Country Joins War Against Weapons of Mass Destruction, Signs Agreement With United States," Africa News, 17 février 2004.

48 Brian Knowlton , "Failed Cancun Talks Give Impetus To Bilateral Deals," The International Herald Tribune, 23 septembre 2003. Sur le web : http://www.tradeobservatory.org/News/index.cfm?ID=4827.

49 Ibid.

50 Pour une analyse de la position défavorable des nations les plus pauvres dans les négociations commerciales bilatérales, voir Mark Tran, « The cost of failure : The collapse of the trade talks in Cancun is bad news for everyone, not just the poor nations," The Guardian, 15 septembre 2003. Sur le web : http://www.guardian.co.uk/wto/article/0,2763,1042578,00.html.

51 "U.S. Cuts Military Aid to Backers of International Court," DW-World.de, 2 juillet 2003. Sur le web : http://www.dw-world.de/english/0,3367,1433_A_907698,00.html.

52 "U.S. Pledges $200 Million to Reconstruct Liberia," Communiqué de presse de l’USAID, 6 février 2004; "Over $500 million pledged at international reconstruction conference on Liberia," M2 PRESSWIRE, 9 février 2004.

53 Conseil de l’Union européenne, Action Plan for the Implementation of the BasicPrinciples for an EU Strategy against Proliferation of Weapons of Mass Destruction, 10354/03, Bruxelles, 10 juin 2003, page 7. Sur le web : http://register.consilium.eu.int/pdf/en/03/st10/st10354en03.pdf. On trouvera les Basic Principles for an EU Strategy Against Proliferation of Weapons of Mass Destruction sur : http://register.consilium.eu.int/pdf/en/03/st10/st10352en03.pdf.

54 Voir "Questions Over Aluminum Tube Shipment," New York Times, 27 avril 2003. Sur le web : http://www.nytimes.com/2003/04/27/international/asia/27NUKE.html.

55 Déclaration du président, Initiative de sécurité contre la prolifération, Réunion de Brisbane, 9-10 juillet 2003, http://www.dfat.gov.au/globalissues/psi/chair_statement_0603.html.

56 "Statement of Interdiction Principles," 2003, op. cit.

57 Voir Lawrence F. Kaplan, "Split Personality: The Bushies' Pyongyang Policy," The New Republic, 7 juillet 2003.

58 Voir Carol Giacomo, "China Links with Saudi, Pakistan a U.S. Concern," Reuters, 15 février 2004; et "China warns of illegalities in U.S.-backed non-proliferation plan," Agence France Presse, 4 décembre 2003.

59 James R. Van de Velde, "'Neither Confirm nor Deny' At Sea Still Alive and Consistent With International Law," 45 Naval L. Rev. 268, 1998.

60 "New Tools for Arms Control," New York Times, 7 juin 2003.

61 Voir Nicole Deller, Arjun Makhijani, John Burroughs, eds., Rule of Power or Rule of Law? An Assessment of U.S. Policies and Actions Regarding Security-Related Treaties (New York: Apex Press, 2003).

62 Certains membres de l’ISP comme l’Australie dépendent aussi fortement des services de renseignement américains et britanniques. Voir "Legal Doubts over Ship Interceptions," AAP Newsfeed, 26 novembre 2003.

63 "China Warns of Illegalities in U.S.-Backed Non-Proliferation Plan," Agence France Presse, 4 décembre 2003.

64 Mark McDonald, "Russia Will Ignore U.S. and Send N-Fuel to Iran," Deseret Morning News, 14 février 2004.


Énergie et Sécurité No. 29 Index
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(La version anglaise de ce numéro, Science for Democratic Action v. 12, no. 3, a été publiée en juin 2004.)

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