Par Arjun Makhijani
Peter Bickel, Aiyou Chen et Brice Smith sont les co-auteurs,
avec Arjun Makhijani, du rapport qui a servi de base à cet article1
De sérieux problèmes commencent à apparaître aux Etats-Unis dans un certain nombre de domaines relatifs à l’énergie. Il s’agit aussi bien de la volatilité et de la croissance des prix du gaz naturel, que des problèmes de sécurité liés à l’augmentation des importations de pétrole, en passant par les pannes d’électricité qui ont touché sporadiquement de vastes régions depuis la fin des années 1990. Jamais autant de vulnérabilités n’étaient apparues simultanément depuis la première crise énergétique de 1973. En outre, le système énergétique est maintenant confronté à des problèmes inédits jusqu’ici. Une période de sécheresse prolongée dans l’Ouest suscite des inquiétudes et des conflits plus vifs sur les ressources en eau, dont les centrales thermiques sont d’énormes consommateurs. Il est maintenant généralement admis que les émissions de dioxyde de carbone et des autres gaz à effet de serre issus de l’activité humaine jouent un rôle important dans le changement climatique. Un grand nombre de centrales à cycle combiné alimentées au gaz naturel ont été construites au cours de ces dernières années, mais elles subissent les répercussions des prix élevés et volatils du gaz naturel. Les Etats-Unis n’ont pas de politique énergétique en vigueur depuis l’administration Carter, à moins d’appeler politique énergétique le fait de laisser aux grandes sociétés productrices le soin de répondre à toute évolution de la demande. Quels que soient les problèmes et les faiblesses du Plan énergétique publié par le groupe de travail dirigé par le vice-président Cheney2, il a eu le mérite de mettre la question énergétique au centre du débat politique national au début 2001. Mais divers facteurs, notamment les attaques terroristes du 11 septembre 2001, la Guerre en Irak, et des divergences nationales sur la question de la politique énergétique, ont pour l’instant conduit à une impasse. Il n’y a pas de réponse unique ou simple pour résoudre les problèmes d’énergie. Les solutions doivent être coordonnées sur de nombreux fronts, au niveau technique, géographique, économique et politique. Nombreux sont ceux qui ont abordé ces questions, notamment l’IEER.3 L’efficacité, notamment des normes de consommation kilométrique pour les automobiles, constitue un aspect essentiel. L’infrastructure de transmission d’énergie en est un autre. Pour ce qui est de l’approvisionnement, il est clair que les sources d’énergie renouvelables représentent un élément central de la réponse. Parmi ces dernières, l’électricité éolienne est peut-être la plus importante à court et moyen terme, parce que son coût a chuté considérablement et est maintenant comparable, globalement, à la production classique (sans même faire supporter à cette dernière les coûts associés au changement climatique ou à la prolifération nucléaire). Les ressources américaines en énergie éolienne sont énormes : environ deux fois et demie la production électrique totale des Etats-Unis, sans tenir compte des ressources off-shore. Le potentiel annuel est du même ordre de grandeur que la production totale de pétrole de tous les membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole. D’un point de vue écologique, l’utilisation des ressources éoliennes exploitables des États-Unis (en excluant les zones densément peuplées, les parcs nationaux, etc.) pourrait permettre de diminuer considérablement les émissions américaines de gaz à effet de serre provenant de l’utilisation des combustibles fossiles, si ceci est associé à une amélioration de l’efficacité énergétique et à d’autres mesures. De plus, l’utilisation de l’énergie éolienne peut avoir un impact positif sur la préservation des ressources en eau. Cependant le vent n’est pas toujours prévisible. Les coûts relatifs à cet aspect sont fondamentaux dans l’étude de la valeur de l’électricité éolienne pour les consommateurs d’électricité. De nombreuses études existent sur les coûts de l’énergie éolienne. L’étude récemment réalisée par l’IEER avec des statisticiens de l’Université de Californie à Berkeley, Peter Bickel et Aiyou Chen, a apporté une contribution supplémentaire. Celle-ci a évalué les prix que pourrait atteindre l’électricité éolienne en tenant compte de l’incertitude portant sur la vitesse du vent. Le rapport, Les moissons des fermes éoliennes, a choisi de réaliser une étude de cas sur un site venté du Nouveau-Mexique. Il a étudié comment les prévisions sur la vitesse du vent, la préservation des ressources en eau, la réduction de la volatilité des prix du gaz naturel et la réduction des émissions de dioxyde de carbone pourraient se conjuguer pour accroître la valeur de l’énergie éolienne. On trouvera ici un résumé de ce rapport. Les références sont précisées dans le rapport lui-même, qui peut être consulté en totalité sur le site web de l’IEER (www.ieer.org/reports/wind/cashcrop/index.html). Il a été présenté en avril 2004 au Sommet énergétique de l’Amérique du Nord de l’Association des gouverneurs de l’Ouest, à Albuquerque, au Nouveau-Mexique. Le potentiel éolien Au cours des quinze dernières années, une importante source d’énergie est devenue économiquement viable : l’énergie éolienne. Les ressources éoliennes terrestres de l’ensemble du globe représentent plusieurs fois la production électrique totale au niveau mondial. Le potentiel offshore pourrait même s’avérer encore supérieur. Les Etats-Unis sont eux aussi bien pourvus en énergie éolienne dans des zones où elle est exploitable. Les douze premiers États (parmi les 48 États contigus) qui possèdent une importante capacité éolienne dans des zones de grandes exploitations agricoles et des terres sur lesquelles des éoliennes pourraient être construites, disposent d’un potentiel total d’environ 10 milliards de mégawatt-heures (MWh). Cela représente, environ 2,6 fois le total de la production électrique des Etats-Unis. La figure 1 donne des informations sur ces douze États. L’éolien offshore n’y est pas pris en compte.
L’énergie éolienne a connu un essor rapide au cours des dernières années. C’est la source d’électricité qui progresse le plus vite. Mais elle part d’un niveau assez bas. La capacité éolienne installée totale aux Etats-Unis était de 6 370 mégawatts (MW) à la fin de 2003. C’est un chiffre bien inférieur aux 28 440 MW de capacité installée en Union Européenne à la fin 2003. Celle-ci équivaut à la consommation électrique de 35 millions d’habitants de l’UE et de 2,4 pour cent de la consommation électrique totale de l’UE. En 2002, et à nouveau en 2003, l’augmentation de la capacité éolienne en Europe a été presque équivalente à la totalité de la capacité installée aux Etats-Unis. L’énergie éolienne couvre moins d’un demi pour cent de la demande électrique américaine. Le faible niveau actuel de l’utilisation de l’énergie éolienne aux Etats-Unis offre un contraste saisissant avec l’immense potentiel qu’elle représente en termes d’économie, d’environnement et de sécurité. Concernant l’énergie éolienne, le fossé qui sépare la perspective de la réalité s’explique par plusieurs raisons. Au nombre de celles-ci figurent notamment une inadéquation de l’infrastructure du transport, des distorsions dans les règles de transport et d’intégration de l’énergie éolienne dans le marché de l’électricité, et l’imperfection de la structure de tarification pour l’électricité éolienne. Nous nous concentrerons sur cette dernière question. Évaluer le prix du vent Le prix de l’énergie éolienne perçu par les promoteurs des fermes éoliennes est basé sur la manière dont la valeur de l’énergie éolienne est calculée par ses acheteurs. Avec les formules de tarification actuelles, les promoteurs de parcs éoliens sont souvent dans l’incapacité de couvrir leurs coûts avec les seuls revenus des ventes d’énergie éolienne. Les coûts de l’électricité éolienne, même dans des sites très favorables, sont sensiblement supérieurs aux prix typiques réalisés par les promoteurs de sites éoliens. La différence est comblée par un crédit d’impôt fédéral connu sous le nom de Crédit d’impôt à la production4 (Production Tax Credit), et dans certains cas par un crédit d’impôt au niveau de l’État. Quand le crédit d’impôt fédéral prend fin, comme cela s’est passé le 31 décembre 2003, un arrêt complet du développement de nouveaux projets éoliens importants peut en résulter. Jusqu’à maintenant, 2004 a été une année pratiquement perdue pour le développement de grands projets de centrales éoliennes aux Etats-Unis. Cette situation est néfaste pour ce secteur industriel, pour l’environnement et pour la sécurité. Les accords d’achat d’électricité apportent généralement des recettes inférieures à celles qui découlent d’une analyse du marché. En d’autres termes, l’électricité éolienne devrait rapporter un prix considérablement supérieur si des règles du jeu équitables dominaient le marché. Par ailleurs, les accords d’achat d’électricité procurent généralement aux promoteurs éoliens des recettes inférieures aux coûts de production. De ce fait, étant donnée la structure de tarification actuelle de l’énergie éolienne, il est difficile, voire impossible, pour les promoteurs éoliens d’obtenir un financement pour leurs centrales si un crédit d’impôt n’est pas en vigueur. Le crédit d’impôt pour l’éolien bénéficie d’un soutien très large au Congrès et figure dans la législation sur l’énergie en attente d’adoption. Mais au moment où ces lignes sont écrites, les perspectives de son adoption sont incertaines, dans la mesure où cette législation sur l’énergie prévoit également de nombreuses subventions coûteuses et controversées pour les combustibles fossiles et le nucléaire, à un moment où les déficits fédéraux sont élevés. Dans des États comme le Nouveau Mexique, le crédit d’impôt de l’État peut combler une partie de la différence. Il peut être suffisant pour couvrir les coûts dans les quelques sites les plus favorables. Les incertitudes qui entourent le crédit d’impôt fédéral présentent un problème majeur pour le taux de croissance de l’énergie éolienne aux Etats-Unis. L’objectif technique principal de l’étude de l’IEER était d’élaborer une méthode de calcul de la valeur pratique de l’énergie éolienne, qui permettrait aux promoteurs éoliens d’obtenir une amélioration sur la tarification du coût marginal évité typique des accords d’achat des grandes fermes éoliennes. Un promoteur éolien qui peut vendre suffisamment d’électricité pour éviter la construction d’une nouvelle centrale électrique pourrait, en principe, prétendre obtenir le paiement de la totalité des coûts que la compagnie électrique aurait eu à supporter si elle avait réellement procédé à la construction de cette centrale. Ce coût est appelé coût évité total. Il correspond au coût total de la production d’une unité électrique, en incluant les coûts d’investissement, les autres charges fixes et les coûts de combustible et de maintenance. Typiquement, le coût évité total pour une centrale au charbon fonctionnant en base serait, dans ces conditions, d’environ 40 $ par MWh. Les prix de l’électricité nucléaire sont plus variables, dans la mesure où les coûts d’investissements des centrales nucléaires, qui constituent l’essentiel du coût total, sont très différents d’une centrale à l’autre. Le coût évité total dans le cas du nucléaire peut aller de 40 à 70 $ par MWh, si l’on inclut les coûts d’investissements. Le coût évité total pour les centrales à gaz naturel à cycle combiné, qui sont également utilisées en base (mais toutefois pas de manière préférentielle par rapport aux centrales nucléaires ou à charbon si ces dernières sont déjà construites), se situe entre 30 et 50 $ ou plus, essentiellement en fonction du coût du combustible, qui tend à être prédominant lorsque les coûts du gaz naturel dépassent 3 $ par million de Btu (British thermal units). Au prix de marché « spot » de juillet 2004 (environ 5,50 $ par million de Btu), le coût évité total pour les centrales au gaz naturel à cycle combiné est d’environ 50 $ par MWh. Le tableau ci-dessous donne un résumé de ces coûts.
Il faut envisager ces coûts évités totaux dans le contexte de la capacité de ces centrales à produire une électricité selon une programmation : en d’autres termes, les unités de production peuvent être guaranties à l’avance par les gestionnaires de réseaux de transport indépendants (Independent System Operators), sauf arrêts de tranches imprévus ou non programmés, relativement rares. L’énergie éolienne ne peut obtenir la totalité des coûts évités parce qu’elle est intermittente et dans une certaine mesure imprévisible. En termes de métier, elle n’est pas « dispatchable »5. Prévoir le vent Mais le vent n’est pas complètement imprévisible. On peut arriver à un certain degré de confiance dans la prévision de l’énergie éolienne. Celle-ci dépend de plusieurs aspects spécifiques :
Il est par exemple foncièrement impossible de prévoir la vitesse moyenne du vent une année ou même un mois à l’avance pour une heure donnée à un jour donné. Les incertitudes autour de la valeur moyenne auront tendance à être très importantes. En revanche, il sera souvent possible de parvenir, avec un degré de confiance raisonnable, à une estimation de la vitesse moyenne du vent, par exemple pour le mois de juillet, ou même pour le cumul des heures de pointe (6 h à 22 h) et des heures creuses (22 h à 6 h) pour ce mois, si les données sur la vitesse des vents sont recueillies depuis un certain nombre d’années. De la même manière, dans la mesure où il y a une certaine corrélation entre la vitesse du vent à une heure donnée et celle de l’heure précédente, on peut parvenir à une estimation, avec un certain degré de confiance, de la production d’énergie éolienne dans l’heure suivante (même si des erreurs significatives continueront à intervenir de temps à autre). Le degré de précision avec lequel cette prévision peut être effectuée constitue un facteur déterminant dans la valeur économique de l’énergie éolienne à l’avenir. Les perfectionnements dans la prévision des vents peuvent réduire les marges d’erreur et, de ce fait, limiter le coût lié à l’ajout d’une capacité éolienne à un réseau, à un niveau donné de pénétration. Le problème statistique du point de vue du vendeur d’électricité éolienne consiste à élaborer une stratégie optimale pour proposer des ventes des heures ou des jours à l’avance. Quel prix devrait être proposé pour la vente, étant données les incertitudes dans la vitesse du vent ? Un modèle statistique qui représente une stratégie raisonnable d’optimisation des ventes sur le marché « spot » a été élaboré pour l’étude de l’IEER. Ce modèle est décrit en détail dans l’encadré ci-dessous (pour tous les cracks d’économétrie que nous sommes). Comme le vent peut-être prévu dans une large mesure pour l’heure ou le jour suivant, il peut être mis en vente à l’avance. Comme le vendeur ne peut garantir une livraison complète, il doit être prêt à offrir une compensation à l’acheteur en cas d’insuffisance. L’encadré décrit une méthode permettant au vendeur et à l’acheteur de convenir d’un contrat raisonnable L’acheteur ne manquerait pas d’électricité en cas de déficit de livraison, parce que toutes les parties récupèrent l’électricité à partir du réseau. L’acheteur en achèterait à partir d’une autre source et serait facturé par celle-ci. Les transactions sont d’ordre financier. On peut aussi imaginer des contrats éoliens « saisonniers ». Il est beaucoup plus difficile de prévoir avec précision les vitesses des vents un jour à l’avance que la moyenne des vitesses sur l’ensemble d’une saison ou une partie importante d’une saison, parce que les caractéristiques météorologiques saisonnières répondent à des facteurs beaucoup plus prévisibles. Si le contrat est basé sur la globalité d’une saison, le coût correspondant à un contrat anticipé de fourniture d’électricité éolienne, (c’est-à-dire le coût pour le vendeur d’électricité éolienne pour les jours sans vent alors que des jours ventés étaient prévus), sera faible puisque le vendeur dispose d’une très bonne chance de fournir la quantité promise au cours de la saison. En outre, les déficits sur une saison peuvent être compensés par des achats d’électricité sur le marché « spot » aux bons moments. Des contrats saisonniers peuvent être particulièrement avantageux lorsqu’un producteur éolien peut proposer de remplacer une production avec du gaz naturel à un prix élevé au moment d’une pointe de consommation en été ou en hiver.
Étude de cas : un site venté au Nouveau-Mexique Nous avons retenu un site qui nous permettait de nous concentrer sur le problème principal que nous envisagions de résoudre : évaluer quelle peut être la valeur de l’électricité éolienne en sus du coût marginal évité. Nous avons donc choisi un site où :
Ce dernier facteur est à prendre en considération, dans la mesure où les orientations au niveau d’un État peuvent représenter une incitation cruciale pour l’essor de l’éolien, tout particulièrement à un moment où des incertitudes considérables pèsent au niveau fédéral. La centrale éolienne hypothétique se trouve à San Juan au Nouveau-Mexique (site 604). En prenant en compte les prix du marché spot, nous supposons que les ventes ont lieu au hub de Four Corners dans le nord-ouest du Nouveau-Mexique, pour lequel nous disposons de données du marché spot pour 2003. Le coût global de l’électricité éolienne fournie au hub de Four Corners, où l’énergie est négociée, est de 44 $ par MWh.
La Figure 1 fait apparaître le prix de vente réalisé, le coût, et le prix de vente réalisé auquel viennent s’ajouter les 10 $ par MWh du crédit d’impôt à la production du Nouveau-Mexique. Avec le crédit d’impôt à la production du Nouveau-Mexique, le prix de vente réalisé est un peu inférieur au coût moyen. Ceci montre que, dans l’exemple que nous avons retenu, les ventes d’énergie éoliennes sont capables d’atteindre la presque totalité du coût sur un marché spot avec le crédit d’impôt à la production du Nouveau-Mexique, mais sans le crédit d’impôt fédéral (qui n’existe plus). Nous pourrions résumer la situation actuelle à Four Corners de la façon suivante. Alors que le hub de Four Corners transmet une grande quantité d’électricité produite dans la région (qui compte une capacité en centrales de plusieurs milliers de mégawatts) et qui traverse le hub, la quasi totalité de celle-ci est vendue selon des contrats à long terme entre des acheteurs et vendeurs individuels qui se servent tout simplement de l’infrastructure de transmission, au lieu de la vendre sur le marché spot. Four Corners ne peut servir de hub pour des ventes spot à grande échelle d’électricité éolienne que si un marché spot beaucoup plus développé y est présent, c’est-à-dire si le volume des ventes horaires est très supérieur. Ceci indique que le développement de l’énergie éolienne est toutefois possible même sans avoir recours au crédit d’impôt fédéral à la production, pourvu qu’il existe des marchés adaptés. Bien sûr, comme nous l’avons vu, le hub de Four Corners n’est pas encore un marché adapté. Nous envisagerons ensuite les ventes d’énergie éolienne, dans le contexte d’un grand client commercial au Nouveau-Mexique, le Chino Building à Santa Fe, où les ventes sont réglementées. Le Chino Building sert d’immeuble de bureaux à l’État du Nouveau-Mexique. Nous avons obtenu par la personne responsable des services collectifs les renseignements détaillés sur la consommation électrique du bâtiment en 2003 et les prix de l’électricité correspondants. Les courbes de la Figure 3 indiquent l’hypothèse d’un achat d’énergie par le Chino Building à un parc éolien situé au Site 604 au Nouveau-Mexique. Nous supposons que les facteurs de charge mensuels moyens de juillet 1999 à juin 2001 (cercles) constituent les valeurs pour le parc éolien pendant l’année pour laquelle nous faisons les calculs. Pour les besoins de notre exemple, nous faisons l’hypothèse que le contrat avec la ferme éolienne sera conclu de façon à ce que celle-ci produise la moitié de l’électricité totale utilisée annuellement par le Chino building, selon un calendrier d’approvisionnement qui correspond aux facteurs de charge mensuels du parc. Ce qui veut dire que les gestionnaires du Chino Building achètent une quantité d’électricité plus importante dans les mois où la production d’électricité éolienne est plus forte et vice versa. La différence est comblée par l’achat d’électricité.
Les caractéristiques éoliennes de ce site ne correspondent pas très favorablement à la demande du Chino Building, dans la mesure où il a un facteur de charge très élevé en avril, un mois où la demande est faible. Dans ces circonstances, l’utilisateur pourrait s’attendre à des frais supplémentaires liés à la demande. Les « frais liés à la demande » sont des charges facturées par la compagnie pour l’utilisation par le consommateur d’une capacité électrique maximale. Celle-ci correspond à la demande électrique maximale, tout à fait comparable à la demande de puissance maximale du moteur d’une automobile pendant une accélération en côte, par exemple. Dans le cas actuel, le coût des fournitures électriques pour le Chino building n’augmenterait pas, même si la moitié de son électricité était fournie par des parcs éoliens. Aucune subvention découlant de crédits d’impôt à la production ne serait nécessaire. Si l’on suppose que la capacité électrique éolienne est complètement imprévisible, c’est-à-dire, si aucun crédit n’est donné pour la capacité éolienne installée, il y aura une légère augmentation de la facture électrique (moins de un pour cent). S’il y a un crédit de 80 pour cent pour la capacité (une limite supérieure très élevée), il y aura des économies nettes d’environ deux pour cent. Réduction des gaz à effet de serre L’énergie éolienne présente beaucoup d’autres bénéfices tangibles. Le Nouveau-Mexique, par exemple, pourrait réduire d’environ 50 pour cent les émissions de dioxyde de carbone (CO2) liées à l’approvisionnement électrique du Chino Building sans augmentation significative de la facture énergétique du bâtiment. En première approximation, la réduction de 50 pour cent de l’électricité achetée réduirait aussi les émissions de gaz à effet de serre correspondants d’environ 50 pour cent, dans la mesure où la production électrique du Nouveau-Mexique provient principalement de centrales à charbon. Un calcul plus précis peut faire apparaître une réduction quelque peu plus faible ou plus élevée, selon la proportion réelle des combustibles qui ont servi à l’alimentation du Chino Building à différents moments de l’année. Si l’éolien remplace de l’électronucléaire pendant une partie du temps, tout en augmentant la part relative de la production avec des combustibles fossiles dans le mix énergétique acheté, la réduction du CO2 sera inférieure à 50 %. Si l’éolien remplace préférentiellement le charbon et augmente la part de l’hydraulique et du nucléaire, la réduction sera supérieure à 50 pour cent. Mais, dans tous les cas, elle sera très significative, et très supérieure aux proportions qui doivent être atteintes d’ici 2010 dans le cadre du protocole de Kyoto. Si les crédits de dioxyde de carbone étaient négociés aux Etats-Unis comme ils le sont en Europe, la valeur de la réduction des émissions de CO2 se situerait entre 2,25 et 4,50 $ par MWh en cas de remplacement des centrales alimentées en charbon, et entre 0,75 et 1,50 $ dans le cas de centrales à cycle combiné alimentées au gaz naturel. Remplacer le gaz naturel Des facteurs tels que le niveau élevé ou la volatilité des prix du gaz naturel, la longueur des délais de mise en œuvre pour la construction d’une infrastructure de gaz naturel et les problèmes de sécurité liés aux importations de gaz naturel liquide renforcent la possibilité de l’utilisation de l’éolien pour remplacer une partie du gaz naturel actuellement utilisé dans les centrales électriques. Plusieurs types de bénéfices économiques peuvent en résulter :
Dans la mesure où l’électricité éolienne est maintenant très supérieure aux turbines à gaz naturel à un seul étage, son utilisation en période de pointe peut être intégrée en mettant les turbines à étage unique actuellement en existence dans un mode d’attente adapté pour compléter la capacité éolienne. Il pourrait s’agir d’une façon économique d’améliorer le crédit de capacité de l’éolien, dans la mesure où il n’est pas nécessaire de construire de nouveaux moyens de production utilisant des turbines à gaz naturel. Des turbines à un seul étage peuvent fournir une capacité de secours très économique pour l’éolien. Les turbines à gaz sont suffisamment bon marché et le gaz suffisamment coûteux pour qu’il soit intéressant de laisser les turbines existantes à l’arrêt et d’utiliser des aérogénérateurs, en ne démarrant les turbines à gaz que si le vent baisse en dessous des prévisions. De ce fait, le développement de l’éolien pourrait être explicitement associé par contrats au remplacement de l’utilisation du gaz naturel en période de pointe dans des turbines à gaz à un seul étage. Le coût évité pour la production et la maintenance seules est de l’ordre de 60 $ par MWh. C’est aussi plus ou moins rentable dans le cas de centrales à cycle combiné, où les coûts évités sont de l’ordre de 50 $ par MWh aux prix actuels du gaz naturel. En l’espace de quelques années, la valeur de l’électricité éolienne comme protection contre la volatilité des prix du gaz naturel pourrait se chiffrer à quelques dollars par MWh. Diversité géographique des fermes éoliennes La diversité géographique et la robustesse du réseau de transmission peuvent aussi augmenter le crédit de capacité. Les grandes distances séparant des zones à fort potentiel éolien peuvent entraîner des avantages très nets en matière de rentabilité et de fiabilité. Une étude européenne7 s’est penchée sur la corrélation entre les vents et leur effet sur le réseau. L’étude a montré qu’avec une diversité géographique suffisante et un réseau de transport reliant les centrales éoliennes (dans ce cas, une ligne à haute tension en courant continu a été étudiée), la capacité éolienne peut être intégrée au réseau de manière fiable. En d’autres termes, la dispersion géographique des fermes éoliennes se traduit par une probabilité plus importante que le vent souffle à un endroit alors que ce n’est pas le cas dans un autre. En ce sens, le développement de moyens éoliens séparés par de grandes distances et connectés par un réseau de transmission robuste peut réduire le recours à une capacité de réserve. Intégration de piles à combustible au mix énergétique Les piles à combustible peuvent stabiliser l’utilisation efficace de l’énergie éolienne pour le consommateur, et ouvrir des possibilités d’optimisation de coût, par exemple en les faisant fonctionner à pleine puissance pendant les périodes de pointe et en rechargeant les réserves d’hydrogène pendant les heures creuses. L’ajout de piles à combustible augmente considérablement les coûts du système, non seulement parce que ces piles coûtent cher, mais aussi à cause des pertes énergétiques liées à la production d’hydrogène à partir d’électricité, et ensuite d’électricité à partir de l’hydrogène. Ces pertes augmentent la capacité éolienne installée nécessaire à la fourniture d’une charge donnée, comme par exemple le Chino Building. Pour déterminer les coûts d’un tel système, nous supposons que les coûts d’investissement du système à piles à combustible sont de 4 millions de dollars par mégawatt, avec une capacité de stockage d’hydrogène de quelques jours et les cellules électrolytiques nécessaires à sa production. Avec cette hypothèse, les coûts de fourniture au Chino building augmentent sensiblement : plus d’un tiers pour l’électricité éolienne provenant Site 604. Notre analyse fait apparaître qu’il n’y a pas, à l’heure actuelle, d’avantages économiques réels à intégrer des piles à combustibles dans le réseau électrique à grande échelle. Il est toutefois intéressant d’adopter des politiques qui intègrent l’utilisation des énergies renouvelables dans les bâtiments, dans le but d’éliminer l’utilisation du gaz naturel pour le chauffage des locaux et de l’eau. Ceci permettrait de rendre disponible du gaz naturel qui pourrait alors être utilisé comme un combustible automobile en remplacement du pétrole, avec pour conséquences d’améliorer la sécurité et de réduire les émissions de CO2. L’utilisation de piles à combustible peut jouer un rôle important dans la création d’un tel système énergétique. Un système énergique pour l’avenir Une programmation électrique à l’échelle du réseau, dans laquelle l’éolien viendrait remplacer une partie du gaz naturel utilisé pour la production électrique, pourrait représenter une transition vers un système énergétique américain produisant beaucoup moins d’émissions de dioxyde de carbone, une pollution de l’air considérablement réduite, et une diminution importante des importations de pétrole. En combinant les diverses composantes (éolien, piles à combustible, efficacité énergétique avec des pompes à chaleur « sol » et utilisation d’automobiles à gaz naturel), il sera possible de réduire considérablement l’utilisation du gaz naturel pour le chauffage de locaux ou de l’eau dans secteur commercial, ce qui le rend disponible pour une utilisation dans les transports.8 Un simple transfert d’un pour cent du gaz naturel actuellement utilisé pour le chauffage des locaux aux véhicules entraînerait une réduction de 300 millions de litres d’essence par an, soit l’équivalent de la consommation d’essence de plus de 100 000 voitures. Ceci correspondrait à une réduction de plus de 300 000 tonnes d’émissions de CO2 chaque année, ainsi qu’à une réduction de la pollution de l’air en ville, et à des avantages en termes de sécurité nationale du fait de la réduction des importations de pétrole. Un tel système suppose évidemment des coûts d’investissements importants. Nous n’avons pas effectué d’étude de faisabilité détaillée pour optimiser ces divers facteurs. Néanmoins, notre étude du Chino Building sans optimisation révèle que le coût de la réalisation de ces objectifs, portant sur une réduction à hauteur de 50 pour cent des émissions de gaz à effet de serre liées aux bâtiments, serait modeste si on l’envisage comme une fraction du coût actuel des services procurés par l’énergie, comme le chauffage, la climatisation et l’éclairage. Voir aussi :
LES NOTES BAS DE PAGE 1 Cet article est basé sur le rapport de Makhijani et al., Cash Crop on the Wind Farm: A New Mexico Case Study of the Cost, Price, and Value of Wind-Generated Electricity, préparé pour être présenté lors du Western Governor’s Association North American Energy Summit, à Albuquerque, Nouveau Mexique, les 15 et 16 avril 2004. Sur le web : http://www.ieer.org/reports/wind/cashcrop/index.html. On trouvera les références dans le rapport. 2 Pour lire une critique de ce plan, consulter Energie
et Sécurité Numéro 18. Disponible en ligne
sur le site Internet http://www.ieer.org/ensec/no-18/no18frnc/cheney.html. 3 Voir Arjun Makhijani, Securing the Energy Future of the United States: Oil, Nuclear, and Electricity Vulnerabilities and a post-September 11, 2001 Roadmap for Action, Institute for Energy and Environmental Research, Takoma Park, Maryland, novembre 2001. Disponible en ligne sur le site : http://www.ieer.org/reports/energy/bushtoc.html 4 En 2003 ce crédit s’élevait à 1,8 cents par kilowatt heure ($18 par MWh). Il existe pendant les dix années suivant la mise en service de l’usine éolienne, à la fin desquelles il expire. 5 Les réseaux électriques ont besoin d’une capacité « dispatchable », de manière à ce que la production puisse s’ajuster aux changements de la demande des consommateurs sur des périodes calculées en minutes ou en heures. Les centrales de base sont à même de générer de l’électricité 24 heures sur 24, et 7 jours sur 7. Comme le vent n’est pas disponible en permanence, il ne peut fournir une capacité de production de base. 6 Un hub est un lieu où l’électricité, provenant de plusieurs directions, converge pour être ensuite redistribuée dans d’autres directions. 7 Gregor Giebel, Niels Gylling Mortensen, et Gregor Czisch, Effects of Large-Scale Distribution of Wind Energy in and Around Europe, non daté, mais apparemment publié en 2003. Disponible en ligne à http://www.iset.uni-kassel.de/abt/w3-w/projekte/Risoe200305.pdf. La présentation Power Point associée a été diffusée lors de la Conférence internationale sur l’énergie de Risø : « Energy Technologies for post Kyoto targets in the medium term » (Les technologies énergétiques pour l’après-Kyoto ciblent le moyen terme », conférence tenue au Risø National Laboratory, Danemark, du 19 au 21 mai 2003. En ligne à l’adresse www.risoe.dk/konferencer/energyconf/presentations/giebel.pdf. 8 Nous n’avons pas explicitement traité la question des cellules photovoltaïques solaires pour remplacer ou en complément de ce système. Dans les zones désertiques, les piles photovoltaïques peuvent compléter l’énergie éolienne, en particulier dans les cas où la vitesse du vent est faible pendant les heures de pointe. |
(La version anglaise de ce numéro, Science for Democratic Action v. 12, no. 4, a été publiée en octobre 2004.)
Mise en place mars 2005