IEER | Énergie et Sécurité No. 30

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"La science pour les masses critiques" apparaîtra régulièrement dans Énergie et Sécurité. Elle fournira aux lecteurs des éléments de référence technique pour les questions de politique discutées dans chaque numéro, ainsi que l'occasion de mesurer leurs connaissances sur ces points techniques.

Équilibrer le système énergétique


Puisque la prévision de vent pour un moment spécifique n’est pas possible l’énergie éolienne n’est pas « dispatchable » (elle ne peut pas être acheminée par le réseau). En d’autres termes, une centrale éolienne peut fournir de l’énergie à un réseau, mais on ne peut miser à l’avance sur sa disponibilité pour une période donnée.

Bien que la prévisibilité du vent soit imparfaite, il est néanmoins possible de programmer ou de vendre à l’avance la capacité d’une centrale éolienne, comme par exemple sur un marché « day ahead » (la veille pour le lendemain) ou « hour-ahead » (horaire). Toutefois, une mauvaise estimation de la production électrique future entraîne des coûts.

Pour comprendre la nature de ces coûts, il faut prendre en compte les diverses échelles de temps dans le fonctionnement d’un réseau électrique. Un bilan des études sur l’impact et le coût de l’intégration de l’énergie éolienne au réseau (publié par le National Renewable Energy Laboratory) (a) décrit succinctement le problème :

L’équilibrage du réseau électrique intervient à différentes échelles de temps. Par exemple, une capacité de production suffisante doit être programmée et construite avec plusieurs années d’avance de façon à pouvoir couvrir les exigences de charge. En se rapprochant du temps réel, les exploitants de réseau prévoient les demandes de puissance un jour à l’avance et choisissent les producteurs disponibles qui peuvent couvrir la demande de manière fiable et au moindre coût. Il est important d’obtenir des prévisions précises pour des demandes et des productions individuelles mais seulement parce que, collectivement, elles constituent une prévision cumulée dans la zone de régulation…

Les erreurs de prévisions entraînent des coûts, soit parce que l’exploitant du réseau sait que la prévision n’est pas fiable et intègre des réserves supplémentaires dans le mix énergétique de la production engagée, soit parce que des erreurs imprévues obligent à ajuster le mix de production à la dernière minute. Dans les deux cas, le mix de production résultant est « sous-optimisé ».1

Sur le long terme, l’énergie éolienne présente deux avantages liés à l’ajout de capacité. Les projets éoliens peuvent être construits relativement rapidement, et il est possible d’augmenter la capacité très graduellement. Dans la mesure où les prévisions de charge à long terme des centrales peuvent présenter des erreurs importantes, les longs délais (de nombreuses années) de construction habituels pour les centrales nucléaires et à charbon engendrent des risques qui peuvent être évités par des centrales éoliennes.

Toutefois, deux réserves doivent être apportées à cette affirmation. Premièrement, l’énergie éolienne ne peut servir à la capacité de production de base sans des moyens de stockage coûteux, qui pourraient annuler l’avantage apporté par les faibles délais de construction.2 Deuxièmement, des capacités éoliennes ne peuvent être ajoutées rapidement sur le réseau que s’il existe une structure de transmission bien développée, qui relie les zones très ventées où il faut construire les centrales éoliennes avec un réseau régional. Ce réseau devra disposer d’une capacité suffisante pour transporter de grandes quantités d’électricité. La contrainte sur les transmissions est souvent un élément déterminant. Moyennant ces deux réserves, l’ajout de centrales éoliennes au réseau peut réduire les risques d’erreurs à long terme dans les prévisions électriques.

Trois autres échelles de temps sont applicables à un système énergétique :

  1. Ajustement : Elle intervient à une échelle de temps allant de quelques secondes à environ 10 minutes. Les ajustements du système énergétique dans ce délai sont effectués automatiquement par informatique, de façon à répondre aux fluctuations rapides de la demande, qui sont en général réduites par rapport à la demande totale. Une augmentation de la demande à cette échéance est couverte par des unités de production qui sont en ligne mais ne fonctionnent pas à pleine puissance, et par une réserve tournante.
  2. Fonctionnement en suivi de charge: Il intervient à une échelle de temps comprise entre 10 minutes et plusieurs heures. C’est la période pendant laquelle peuvent survenir des changements importants de la charge auxquels doit répondre le système énergétique. Les compagnies électriques réglementées, qui gèrent elles-mêmes leur production, leur transmission et leur distribution, ont un fonctionnement intégré garantissant la disponibilité d’une capacité suffisante pour absorber les changements de la demande. Une augmentation de la demande à cette échéance est couverte par des unités de production qui sont en ligne mais ne fonctionnent pas à pleine capacité, par la réserve tournante, et par des unités qui peuvent être démarrées rapidement le cas échéant, généralement des turbines à gaz naturel à un seul étage et des centrales hydroélectriques.
  3. Engagement des centrales : Cette échelle de temps fait intervenir l’engagement d’unités spécifiques qui demandent un temps relativement long pour démarrer et/ou s’arrêter (plusieurs heures, et parfois plus). Dans la mesure où des variations de la demande électrique sur une journée ou d’une saison à l’autre suivent des schémas prévisibles, les temps d’engagement d’unités de production sont de l’ordre d’un à plusieurs jours, en fonction de la saison (de façon à programmer la maintenance des grandes installations).

Les lignes de transport de l’électricité et l’intégration de l’éolien

La capacité des lignes de transport représente un facteur très important pour déterminer si l’éolien peut être développé dans des zones favorables et dans quelle proportion. Mais cela va bien plus loin. L’existence d’un réseau de transport dense avec une capacité suffisante peut augmenter le taux de pénétration de l’éolien pour un coût d’intégration donné. Même un système de distribution robuste peut être utile. Par exemple, une bonne partie de la capacité éolienne terrestre au Danemark ne transite pas par un réseau de transport à haute tension, mais alimente directement le système de distribution, diminuant ainsi les pertes d’énergie et les coûts.

Le terme « réseau de transport » renvoie à la partie du réseau constituée de lignes à haute tension pour le transport sur de grandes distances, alors que ce lui de « système de distribution » désigne la partie locale du réseau où la haute tension est progressivement transformée en tensions plus basses pour desservir finalement les clients résidentiels et commerciaux et les petites entreprises industrielles. Le transport de l’électricité sur de longues distances s’effectue à haute tension pour réduire les pertes d’énergie.

L’éolien représente déjà 2,4 pour cent de l’approvisionnement électrique de l’Europe. Dans trois régions d’Europe, la pénétration de l’éolien atteint 27 % de la capacité (le Schleswig-Holstein en Allemagne, le Jutland-Funen au Danemark, et la Navarre en Espagne). Nous n’avons pas connaissance d’études de coûts détaillées réalisées sur ce niveau de pénétration de l’énergie éolienne. Néanmoins, les compagnies européennes sont en accord avec les missions politiques et sociales qui rendent l’énergie éolienne nécessaire pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de dioxyde de carbone. Les estimations des coûts pour une future intégration de l’éolien, c’est-à-dire pour ajouter de nouvelles fermes éoliennes au réseau, ne sont d’ailleurs pas élevées.

Il sera nécessaire de procéder à de nombreux investissements non seulement dans les fermes éoliennes, mais aussi dans les infrastructures, particulièrement dans les infrastructures de transport, avant qu’une petite proportion du potentiel physique puisse devenir une réalité technique et économique dans le système énergétique américain.

Extrait de Cash Crop on the Wind Farm (Les moissons de la ferme éolienne) de Makhijani et al., préparé pour une présentation lors du Sommet de l’énergie en Amérique du Nord de l’Association des Gouverneurs de l’Ouest, 15-16 avril 2004. Sur le web : http://www.ieer.org/reports/wind/cashcrop/


Voir aussi :


LES NOTES BAS DE PAGE

1 Parsons, et al., Grid Impacts of Wind Power: A Summary of Recent Studies in the United States. Version provisoire de la présentation donnée à la Conférence européenne de l’énergie éolienne, à Madrid (Espagne) en juin 2003. (Golden, CO: National Renewable Energy Laboratory, 2003).

2 La répartition spatiale des centrales éoliennes associée à des liaisons à très longue distance sur le même réseau peut réduire partiellement ce problème. Ceci pose, bien sûr, d’autres questions relatives aux investissements nécessaires au transport et à l’intégration du réseau.

 


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(La version anglaise de ce numéro, Science for Democratic Action v. 12, no. 4, a été publiée en octobre 2004.)

Mise en place mars 2005