Par Brice Smith et Arjun Makhijani1
L’uranium, y compris l’uranium appauvri (UA), est généralement plus dangereux pour une personne quand il pénètre à l’intérieur du corps, que ce soit par ingestion, inhalation ou par des lésions de la peau (un contact prolongé peut aussi aboutir à une dose d’irradiation externe significative). À l’intérieur du corps, l’uranium crée des risques à la fois en tant que métal lourd toxique et en tant que matière radioactive. En outre, certains éléments laissent penser que des synergies peuvent exister entre ces deux types d’effets sur la santé. Les réglementations fédérales actuelles limitent la concentration en uranium dans l’eau potable à 30 microgrammes par litre (?g/l), principalement en fonction de sa toxicité chimique. Pour l’uranium naturel, cette limite correspond à une activité de 20 picocuries par litre (pCi/l) pour l’uranium. Pour l’uranium appauvri, la limite pour l’eau potable correspond à une activité d’environ 12 pCi/l. Les réglementations fédérales se basent sur le risque de cancer pour limiter l’inhalation d’uranium et sur la toxicité pour les reins en ce qui concerne l’absorption d’eau potable. L’exposition à l’uranium dans l’eau est réglementée pour sa toxicité chimique essentiellement parce qu’il est connu pour être un agent néphrotoxique (toxique pour les reins). Les reins sont responsables du contrôle de la composition du sang et de l’élimination des déchets. D’importantes incertitudes demeurent quant au niveau de sensibilité des reins humains par rapport à l’uranium appauvri. Des études sur les animaux ont montré que les seuils toxiques varient de plus d’un ordre de grandeur entre les expériences sur les lapins (plus sensibles) et les rats (moins sensibles). Les connaissances scientifiques sur les effets de l’uranium sur l’organisme se développent rapidement, en grande partie du fait des inquiétudes qui sont apparues à la suite de la Guerre du Golfe de 1991, de la campagne de bombardement de l’OTAN en 1999 sur l’ex Yougoslavie, et de la reconnaissance progressive de nombreux problèmes de santé qui sont maintenant connus sous le nom de Syndrome de la Guerre du Golfe. Nous analysons plus loin le nouveau panorama des risques qui émerge de ces recherches. Risques des rayonnements ionisants Les rayonnements ionisants sont un agent carcinogène reconnu ; l’exposition à ces rayonnements augmente en effet le risque pour toutes sortes de cancers. La meilleure compréhension actuelle des effets des rayonnements faiblement radioactifs, qui sert de fondement à la pratique réglementaire aux Etats-Unis et en Europe, est que tout incrément de dose produit un incrément proportionnel de risque de cancer. C'est ce qu'on appelle l'hypothèse linéaire sans seuil.2 En général, les risques estimés par unité d’exposition ont augmenté au fil des années, au fur et à mesure des nouvelles découvertes sur l’interaction des rayonnements avec les tissus vivants. De ce fait, les doses maximales permissibles ont été diminuées. Par exemple, en 1954, la Commission de l'énergie atomique (AEC) a fixé à 15 rems par an la limite d’irradiation.3 Il s’agissait d’une réduction importante par rapport à la limite de 0,1 roentgen par jour qui avait été adopté en 1942 pendant le Projet Manhattan. En 1959, la limite de dose pour le public a été abaissée à 0,5 rem par an, et réduite à nouveau en 1990 à 0,1 rem par an.4 Les effets non carcinogènes analysés plus loin (autres que la toxicité pour les reins) sont indiqués par des études menées en laboratoire souvent réalisées à des niveaux élevés d’exposition. Ces effets n’ont pas été formellement établis pour les êtres humains en termes de risques quantitatifs pour la santé. Par ailleurs, certaines des expériences que nous citons ont été menées avec de l’uranium directement injecté à des animaux cobayes, ou avec de l’uranium appauvri sous forme métallique inséré sous la peau, qui constituent des voies d’exposition différentes des expositions dans l’environnement qui pourraient résulter du stockage de l’oxyde d’uranium appauvri. La question de l’existence de seuils pour les effets non carcinogènes n’a pas non plus été tranchée, à la différence de l’hypothèse largement admise de l’absence de seuil pour le risque de cancer lié aux radiations ionisantes. La compréhension de la différence de risques entre hommes et femmes est un autre aspect de la radioprotection qui a évolué au cours du temps. Actuellement, on considère que le risque global pour les femmes de développer un cancer mortel, à partir de l’exposition à des rayonnements à faible dose et faible transfert linéique d'énergie (TLE), est de presque 50 pour cent supérieur à celui des hommes. Pratiquement 45 pour cent du risque supplémentaire pour les femmes, par unité d’exposition, sont dus à l’importante radiosensibilité des seins.5 Si l’on prend en compte l’incidence, indépendamment de la mortalité, la comparaison est encore un peu plus défavorable, les femmes courant un risque de 58 % supérieur à celui des hommes de développer une forme quelconque de cancer à partir d’une exposition à la radioactivité. Recherches actuelles sur l’UA Ces dernières années, la compréhension des risques de cancer issus de l’exposition à la radioactivité à partir de l’uranium appauvri et des lésions aux reins dues à ses propriétés de métal lourd, ont connu d’importants développements. De plus, les résultats d’études de plus en plus nombreuses soulèvent de sérieuses inquiétudes concernant l’impact de l’exposition chronique à l’UA en lien avec un certain nombre d’autres problèmes de santé. Les études chez l’homme et l’animal ont montré que l’uranium peut se concentrer à divers degrés dans le squelette, le foie, les reins, les testicules et le cerveau. De plus, une concentration de l’uranium dans le cœur, les tissus pulmonaires, les ovaires et les ganglions lymphatiques a été observée sur des rats sur lesquels on a implanté des pastilles d’UA. Comme nous l’avons noté plus haut, certaines recherches ont également fourni des indications sur un éventuel effet synergétique entre l’aspect métal lourd de l’exposition à l’uranium et ses effets radioactifs. Les études réalisées sur les risques entraînés par le cadmium, métal lourd, ont indiqué une réaction synergétique potentielle en cas d’exposition associée à des rayonnements gamma. Les travaux sur ces types d’expositions associées ont montré que les lésions directes de l’ADN dues à l’exposition aux rayonnements se combinaient probablement avec une inhibition de la réparation de l’ADN par certains métaux lourds. Un double coup dur, si l’on peut dire. Les études menées à l’Institut de recherche sur la radiobiologie des forces armées (AFRRI) de Bethesda, au Maryland, ont montré que l’uranium appauvri pouvait provoquer des lésions oxydatives de l’ADN. C’est la première indication que des effets radiologiques et chimiques pourraient éventuellement jouer à la fois un rôle d’initiateur et de promoteur de tumeurs. Nous analyserons plus loin certains des aspects potentiels des effets sur la santé de l’uranium appauvri qui se dégagent de recherches portant sur des domaines très diversifiés. Effets mutagènes et tumorigènes Depuis la fin des années 1990, des études in vitro et in vivo ont permis de réunir un ensemble de plus en plus important d’éléments indiquant que l’uranium appauvri peut être génotoxique, mutagène et tumorigène. Une bonne partie de ces travaux sont actuellement réalisés à l’AFRRI sous la direction du Dr Alexandra Miller. Le Dr Miller et ses collègues ont, pour la première fois, démontré que l’uranium appauvri intégré pouvait provoquer « un important renforcement de la mutagénicité urinaire », un biomarqueur courant de l’exposition à un agent génotoxique.6 Ils ont également démontré pour la première fois que l’exposition à l’UA peut transformer les cellules humaines en cellules capables de produire des tumeurs cancéreuses chez des souris immunodéficientes. Ils ont découvert que des expositions à des concentrations chimiques égales d’uranium de différentes compositions isotopiques entraînaient « une augmentation spécifique dépendant de l’activité dans la fréquence de transformation néoplasique », qui suggère par ailleurs « que la radioactivité peut jouer un rôle dans les effets biologiques in vitro induits par l’UA. » Miller et al. ont également découvert à travers d’autres expérimentations que l’UA était capable d’induire des « lésions oxydatives de l’ADN en l’absence d’une décroissance radioactive significative. » À la lumière de leurs autres travaux indiquant que l’aspect radiologique de l’UA pourrait contribuer à des effets génotoxiques in vitro, ils notent qu’il « est tentant de faire l’hypothèse que l’UA pourrait présenter à la fois une composante “initiation” et une composante “promotion”. » Ce double rôle éventuel pourrait provenir du fait, par exemple, que le rayonnement par particules alpha à l’origine de la mutation cancéreuse (initiation de la tumeur) est suivi d’une accumulation de lésions oxydatives, les propriétés radioactives ou du métal lourd aidant séparément ou conjointement à la diffusion du cancer (promotion du cancer), ou inversement. Le rôle respectif des composantes radiologique et chimique des lésions génétiques causées par l’uranium appauvri est une question importante, dans la mesure où l’UA est actuellement réglementé pour l’eau potable en s’attachant principalement au risque chimique, en faisant l’hypothèse implicite que le risque radioactif peut généralement être considéré comme secondaire dans l’environnement. On trouvera ci-après un exemple final des travaux réalisés à l’AFRRI sur ces questions. Il est extrait d’une publication de 2003 de Miller et al. concernant la capacité de l’UA à induire une instabilité génomique dans les cellules humaines. Il faut noter que l’UA émet des particules alpha au cours de sa décroissance radioactive. Dans ce travail, les auteurs remarquent dans un premier temps que :
Pour mesurer séparément l’impact de la radioactivité et de la toxicité en tant que métal lourd, les effets de l’uranium appauvri ont été comparés à ceux du nickel (Ni) et de l’irradiation gamma. Miller et al. concluent à partir des résultats de leurs expériences que :
Effets sur les enfants et sur l’embryon/fœtus Les enfants ainsi que l’embryon/le fœtus sont probablement plus exposés aux risques liés à la nature mutagène et carcinogène de l’uranium. La Commission internationale de protection radiographique (CIPR) fait observer que :
Prenant acte des risques plus importants occasionnés par l’exposition à la radioactivité pour les enfants, le supplément 2002 du Federal Guidance Report n° 13 de l’EPA américaine a introduit des coefficients de mortalité et de morbidité par becquerel incorporé pour divers groupes d’âge, notamment les enfants de 0 à 5 ans. Pour les trois isotopes de l’uranium présents dans l’UA, le risque pour un enfant de moins de cinq ans de développer un cancer mortel par unité incorporée est environ six à huit fois supérieur au risque basé sur une moyenne d’âge, utilisé actuellement par l’EPA pour l’absorption par l’alimentation et l’eau potable. Quand toutes ces considérations sont prises en compte (risque accru par unité incorporée associé aux voies d’exposition spécifiques aux enfants pour des polluants environnementaux comme l’UA, et le fait que l’uranium est connu pour pouvoir traverser la barrière placentaire et se concentrer dans l’embryon ou le fœtus), il est vraisemblable que des obligations beaucoup plus strictes devront être adoptées pour l’évacuation de l’UA si cet uranium s’avère beaucoup plus carcinogène qu’on le croit actuellement, et notamment si la santé des enfants doit être protégée. Effets sur la reproduction On peut retrouver dès les années 1940, des rapports de recherches sur les effets sur la reproduction de l’exposition à l’uranium chez l’animal, mais il semble que ces premières études n’ont été poursuivies systématiquement par d’autres chercheurs aux Etats-Unis que plusieurs décennies plus tard. Même aujourd’hui, la compréhension des effets de l’uranium sur la reproduction humaine et animale reste très lacunaire. Les expérimentations des années 1940 ont ont révélé qu’alimenter continuellement ou même une seule fois des rats avec de l’uranium pouvait nuire au succès de la reproduction de ces animaux. L’impact d’une alimentation permanente était significativement plus important que celui d’une ingestion unique, mais les auteurs ont relevé leur surprise à découvrir un impact sur le succès reproductif même 9 mois après une exposition unique à l’uranium.8 Il est difficile de savoir pourquoi ces premières études spectaculaires n’ont pas été poursuivies ou communiquées plus largement. Néanmoins, le travail qui a été récemment effectué sur l’uranium a permis de développer ces premiers résultats, et a abouti à l’identification de deux domaines de préoccupation distincts quant à l’éventuel impact de l’uranium sur la santé reproductive. Le premier domaine a trait aux risques liés à l’exposition des hommes tandis que le second porte sur l’exposition des femmes. Il a été établi que l’uranium se concentre dans les testicules, et on l’a retrouvé à des taux élevés dans le sperme des vétérans de la Guerre du Golfe. Même si aucune donnée épidémiologique ne vient encore démontrer un impact sur le succès reproductif associé à l’exposition des vétérans, la Royal Society (d’Angleterre) a noté que la concentration de l’UA dans les testicules était une source de préoccupation potentielle, étant donné la possibilité d’effets synergétiques liés à la capacité de l’uranium à provoquer des lésions de l’ADN, à la fois par un stress chimique oxydatif et une irradiation alpha. En outre, l’Organisation mondiale de la santé a relevé l’observation de « changements dégénératifs non spécifiés dans les testicules » des rats à la suite de l’ingestion chronique de composés d’uranium solubles. Bien qu’encore très limités, d’autres travaux ont été réalisés sur les effets sur la reproduction pour des animaux femelles exposés à l’uranium. Il a été établi que l’uranium traverse la barrière placentaire et se concentre dans les tissus fœtaux. Des expériences sur des animaux ont démontré que l’exposition à l’uranium, que ce soit par ingestion ou par injection, peut entraîner « une baisse de la fertilité, une toxicité pour l’embryon/le fœtus, notamment une tératogénicité, et un ralentissement de la croissance de la descendance. » Ces résultats ont été mis en évidence aussi bien chez les rats que les souris, et fournissent des éléments de preuve (au moins pour les niveaux d’ingestion d’uranium étudiés) que l’exposition à l’uranium peut nuire au succès reproductif des femelles. La seule expérience utilisant de l’uranium appauvri qui a été rapportée n’a pas trouvé d’effets statistiquement significatifs pour « le gain de poids maternel, l’absorption de nourriture et d’eau, le délai avant conception, ou le pourcentage de portées parvenues à terme », toutefois, il est apparu qu’un plus grand nombre de pastilles d’UA implantées conduisait à une augmentation des concentrations de l’uranium dans le placenta et l’ensemble du fœtus chez les rongeurs. Même s’il reste de nombreuses inconnues sur les effets de l’uranium sur le succès reproductif, un certain nombre de mécanismes radiologiques et non radiologiques potentiels ont été proposés pour permettre d’expliquer les effets observés. Les mécanismes proposés font intervenir une perturbation hormonale ou enzymatique et des changements de comportement. De plus, nous avons déjà relevé les conclusions de la CIPR quant à la plus grande radiosensibilité de l’embryon/du fœtus en développement ainsi que des jeunes enfants, ce qui pourrait aussi jouer un rôle dans les effets de l’UA sur le succès reproductif. Effets neurotoxiques Depuis au moins le milieu des années 1980, il existe des éléments tendant à prouver un lien entre uranium et lésions neurologiques. Si ces premières communications présentent un certain nombre de problèmes qui ont empêché leur utilisation pour aboutir à des conclusions solides concernant les risques neurologiques de l’uranium appauvri, elles ont néanmoins incité à des recherches plus approfondies. Les recherches qui ont débuté dans les années 1990 ont commencé à faire naître de nouvelles inquiétudes quant aux éventuels effets toxiques de l’UA sur le cerveau. Un des principaux problèmes relatifs à ces récents travaux tourne autour du fait que la principale forme chimique de l’uranium dans le corps est le cation uranyle (UO22+), qui est un métal lourd toxique analogue au cation plomb (Pb2+), dont l’histoire tragique en tant que neurotoxine est bien documentée. Il est particulièrement problématique pour la santé des enfants. En 1999, à l’AFRRI, Pellmar et al. ont montré que de l’uranium appauvri implanté chez des souris se concentrait dans diverses régions du cerveau, avec des concentrations plus élevées pour des niveaux d’exposition plus importants. Ces résultats les ont amenés à conclure que « l’accumulation dans le cerveau, les ganglions lymphatiques et les testicules laisse envisager la possibilité de conséquences physiologiques inattendues à partir de cette voie d’exposition à l’uranium. »9 Dans des recherches supplémentaires, Pellmar et al. ont pu montrer plus précisément que « l’exposition à des fragments d’UA causait des changements neurophysiologiques dans l’hippocampe. » L’hippocampe a été choisi pour l’analyse parce que cette région du cerveau est impliquée dans la mémoire et l’apprentissage. Des revues de ces expériences de l’AFRRI ont conclu que leurs résultats fournissent des éléments importants dans la mise en évidence d’éventuels effets neurotoxiques de l’uranium appauvri. D’autres chercheurs ont montré qu’à la suite d’une ingestion, l’uranium se concentrait dans le cerveau des souris et des rats. Certaines des expériences chez les souris ont fait apparaître des effets sur le cerveau, avec une possible importance neurotoxicologique à des niveaux d’exposition à l’uranium qui ne semblaient pas provoquer de lésions discernables au niveau des reins. Une étude récente a constaté des changements comportementaux observables chez les rats après 2 semaines d’exposition à l’UA dans l’eau potable.10 Un test informatique spécialisé, destiné à évaluer « l’efficacité des performances », a été utilisé pour rechercher les éventuels effets neurologiques chez les vétérans qui ont été exposés aux munitions à l’uranium appauvri pendant la Guerre du Golfe. Ces essais, menés au Centre médical de Baltimore VA, ont permis d’observer une corrélation statistiquement significative entre la concentration en uranium dans l’urine des vétérans et des performances médiocres pour les tests neurocognitifs informatisés. Toutefois, aucun effet mesurable n’a été trouvé dans le même groupe à l’aide de tests neurocognitifs traditionnels. Il est important de rappeler dans ce cas que les soldats ont été exposés en tant qu’adultes, et que ces tests ne fournissent pas d’informations sur les impacts de l’exposition à l’uranium pendant les étapes plus sensibles de la petite enfance, quand le cerveau connaît une croissance et un développement rapides, ou quand la barrière sang-cerveau n’est pas encore complètement formée. Outre le rôle de neurotoxique chimique analogue au plomb que jouerait éventuellement l’uranium, la radioactivité est aussi connue pour avoir des conséquences négatives sur le système nerveux de l’embryon ou du fœtus. À partir d’un examen des données sur les survivants japonais de la bombe atomique, la CIPR, dans la publication déjà mentionnée plus haut, conclut :
La CIPR développe plus avant les raisons pour lesquelles la période prénatale est particulièrement préoccupante pour les lésions au système nerveux dues à la radioactivité, et pourquoi il est si important de les prendre en compte dans l’évaluation des risques :
Certaines indications laissent penser qu’une exposition prénatale au plomb et au mercure peut être capable d’occasionner des lésions neurologiques pendant cette période de développement rapide. Toutefois, on considère le plus souvent que les premières années de l’enfance sont le moment le plus critique pour une exposition aux métaux lourds, étant donné le plus grand risque d’expositions environnementales pour les bébés. Comme pour un certain nombre d’autres risques émergents analysés plus haut, il existe aussi une possibilité de synergie entre les effets chimiques et radiologiques de l’uranium sur le système nerveux. Il est important de souligner que des changements relativement faibles dans le QI moyen, répartis sur un grand nombre d’enfants, vont « entraîner une augmentation spectaculaire de la proportion des enfants au-dessous d’un seuil critique donné, par exemple un QI de 80, et faire baisser la proportion de ceux qui entrent dans la catégorie des « doués », supérieurs à 120. » L’effet des agents neurotoxiques sur une population exposée dans sa totalité, même à des niveaux très faibles, peut donc être tout à fait significatif, même si l’effet sur une « moyenne » ou un individu « typique » de cette population ne semble pas l’être. Effets sur le squelette Comme dans le cas du cerveau, la période fœtale et les autres périodes de développement rapide (c-à-d pendant la petite enfance et la puberté) sont des moments où le squelette présente une sensibilité accrue. Il a été démontré dans des expériences sur des rats que des lésions osseuses pouvaient provenir d’une incorporation d’uranium aussi bien aiguë que chronique. Compte tenu du fait que l’uranium traverse la barrière placentaire, la Royal Society a recommandé que « les effets de l’exposition maternelle à l’UA sur le développement osseux du fœtus soient également pris en compte. » L’Organisation mondiale de la santé et le Conseil national de la recherche (NRC) ont également recommandé des études pour déterminer quel effet éventuel l’uranium intégré dans les os pourrait avoir sur la moelle osseuse, et donc sur la production de nouvelles cellules sanguines. Une nouvelle étude, portant sur des chiens exposés à des doses quotidiennes de nitrate d’uranyle depuis leur plus jeune âge, a établi que l’uranium s’accumulait dans la moelle autant que dans l’os, contrairement à ce qui avait été obtenu avec des doses aiguës uniques.11 L’uranium : un plomb radioactif ? Différents éléments suggèrent clairement que la toxicité de l’uranium, au moins pour certains effets (notamment ses effets neurotoxiques sur les fœtus et les jeunes enfants) pourrait être mieux comprise si l’uranium était considéré comme une sorte de plomb radioactif pour lequel les lésions dues au rayonnement alpha surviennent parallèlement aux dommages liés à sa nature de métal lourd, pour créer toutes sortes de problèmes de santé à des niveaux d’exposition relativement faibles. Cette analogie entre uranium et plomb a été introduite en 2003, lorsque Lemercier et al. ont rapporté les résultats de leur étude, démontrant la concentration de l’uranium dans le cerveau de rats.12 Cette manière de voir présente des inconvénients évidents quant à la compréhension approfondie des mécanismes biologiques impliqués dans les lésions causées par l’uranium en comparaison avec le plomb. Toutefois, l’aptitude de l’uranium à entraîner un stress oxydatif induit chimiquement, à traverser la barrière sang-cerveau et à altérer l’activité électrique dans certaines parties du cerveau supérieur et, éventuellement, à interrompre les neurotransmetteurs par remplacement chimique du calcium dans les jonctions communicantes (tout ceci intervenant en même temps que des degrés importants de dommages cellulaires localisés causés par le rayonnement alpha) correspond à des signaux d’alerte importants sur l’impact potentiel de l’uranium sur le développement du cerveau de l’enfant. À la lumière de l’analogie uranium-plomb, il faut noter que, malgré les éléments prouvant les effets nocifs du plomb sur le cerveau remontant à presque deux millénaires et le fait que l’empoisonnement par le plomb a été constaté cliniquement chez les enfants dès les années 1890, ce n’est qu’en 1979 que l’essence au plomb a finalement été retirée du marché américain, après avoir été vendue pendant plusieurs décennies. De façon comparable à la tendance générale en matière de normes de radioprotection, les Centers for Disease Control (CDC) ont choisi d’abaisser quatre fois depuis la fin des années 1960 la recommandation considérée comme un indicateur de niveaux « élevés » de plomb dans le sang des enfants. Le taux actuel représente un sixième de ce qu’il était il y a 35 ans. En outre, le CDC a adopté comme position qu’il n’y a pas de seuil inférieur pour le niveau d’exposition au plomb, et que toute incorporation provoquera donc un certain niveau de dommages. Malheureusement, malgré d’importantes réductions dans l’exposition au plomb depuis 1979, les niveaux actuels dans le sang des enfants sont toujours à peu près 100 à 1000 fois supérieurs au niveau estimé pour l’époque préindustrielle, et, en l’an 2000, le CDC estimait que près d’un demi million d’enfants aux Etats-Unis dépassait la limite recommandée pour les niveaux de plomb dans le sang. Au-delà de ces problèmes, les études poursuivies sur les effets du plomb montrent que les fonctions intellectuelles des enfants sont affectées par des expositions d’environ la moitié du seuil critique des CDC/de l’OMS, ce qui renforce l’idée qu’il n’y a probablement pas de seuil pour les effets nuisibles du plomb. En plus de la neurotoxicité du plomb, les recherches récentes ont également fait apparaître que l’exposition prénatale comme l’exposition postnatale au plomb sont associées à un retard de croissance chez les animaux et les humains, et que l’exposition au plomb peut aussi altérer la production des hormones sexuelles et retarder la puberté chez les rats. Une étude épidémiologique publiée en 2003 a montré que même des niveaux moyens relativement faibles de plomb (environ un tiers du seuil critique des CDC/de l’OMS) provoquait un retard mesurable de la puberté chez des filles afro-américaines et mexico-américaines, alors qu’aucun retard statistiquement significatif n’était constaté chez les filles de type caucasien.13 Cet effet sur le développement sexuel des filles a été attribué, au moins partiellement, à de possibles « altérations de la fonction endocrine. » De nombreuses questions demeurent sans réponse, quant à la façon dont le plomb a provoqué le retard observé, et sur le fait que les enfants avaient pu être exposés à des niveaux supérieurs par le passé, avant le commencement des séries d’examens de l’étude. Néanmoins, la possibilité que l’uranium puisse jouer un rôle analogue, en influençant les processus régis par les hormones chez des enfants en développement, pourrait s’ajouter à la liste des problèmes sanitaires et ouvrir de nouvelles voies importantes sur les éventuelles synergies avec ses autres effets chimiques et radiologiques. Les leçons retirées de la tragique histoire du plomb pour la santé des enfants – notamment plusieurs décennies de refus des risques par les industries de fabrication de produits à base de plomb, ainsi que le durcissement systématique et progressif des recommandations sanitaires visant spécifiquement les enfants, à partir du moment où elles ont finalement été mises en oeuvre – devraient être soigneusement examinées à la lumière de la direction qui se dessine actuellement pour la recherche sur l’uranium. Définitions Cytotoxique : Toxique pour les cellules. Instabilité génomique : Une tendance accrue de l’ADN à ne pas se réparer correctement, typique des cellules cancéreuses. Génotoxique : Portant atteinte à l’ADN. In vitro : Expérimentations réalisées à l’extérieur du corps In vivo : Expérimentations réalisées à l’intérieur du corps Micronoyaux : Fragments de chromosomes qui ne sont pas incorporés dans le noyau au moment de la division cellulaire. Mutagène : Causant ou contribuant à des mutations génétiques transmissibles. Transformation néoplasique : La conversion de cellules normales en cellules tumorales. Tumorigène : Causant une tumeur. Voir aussi : LES NOTES BAS DE PAGE
1 Cet article est basé sur le rapport de l’IEER,
Costs and Risks of Management and Disposal of Depleted Uranium from
the National Enrichment Facility Proposed to be Built in Lea County
New Mexico by LES, préparé pour le Nuclear Information
and Resource Service (NIRS) et Public Citizen. Des références
précises peuvent être trouvées dans le rapport lui-même,
qui est disponible sur le site web de l’IEER (http://www.ieer.org/reports/du/LESrptfeb05.pdf). 2 Voir National Council on Radiation Protection and Measurements.
Evaluation of the Linear-Nonthreshold Dose-Response Model for Ionizing
Radiation. NCRP report n° 136. Bethesda, MD: J4 juin 2001. 3 Pour un résumé de l’historique des
limites de doses annuelles admise aux Etats-Unis, voir Énergie
et Sécurité n° 15 sur le web : http://www.ieer.org/ensec/no-15/no15frnc/dosetbl.html 4 U.S. Dept. of Energy, Office of Environmental Safety and
Health. Radiation protection of the public and the environment.
Order: DOE 5400.5, Washington, DC: 8 février 1990. Section II.1.a. 5 Le risque global de cancer par personne-Gray d’exposition
pour les femmes, à partir d’une faible dose et d’une
irradiation à faible TLE (transfert linéique d’énergie),
est estimé à 6,83 x 10-2 alors que le risque
pour les hommes est de 4,62 x 0-2. Dans ce document de recommandations
de l’EPA, les risques pour le sein de la femme arrivent au second
rang parmi l’ensemble des organes énumérés
pour les risques par unité d’exposition et ces derniers
dépassent ceux de n’importe quel organe masculin. (Keith
F. Eckerman, Richard W. Leggett, Christopher B. Nelson, Jerome S. Puskin,
Allan C.B. Richardson. Cancer Risk Coefficients for Environmental
Exposure to Radionuclides: Radionuclide-Specific Lifetime Radiogenic
Cancer Risk Coefficients for the U.S. Population, Based on Age-Dependent
Intake, Dosimetry, and Risk Models. Federal Guidance Report N°
13. EPA 402-R-99-001. Oak Ridge, TN: Oak Ridge National Laboratory;
Washington, DC: Office of Radiation and Indoor Air, United States Environmental
Protection Agency, septembre 1999.) 6 Sauf mention contraire, ceci et le reste des recherches
référencées dans ce texte renvoient à un
certain nombres d’articles de Miller et al. publiés
entre 1998 et 2003. Pour une bibliographie complète voir les
pages 10-13 du rapport de l’IEER sur lequel cet article est basé
: Costs and Risks of Management and Disposal of Depleted Uranium
from the National Enrichment Facility Proposed to be Built in Lea County
New Mexico by LES, en ligne à l’adresse : http://www.ieer.org/reports/du/LESrptfeb05.pdf. 7 International Commission on Radiological Protection. Biological
effects after prenatal irradiation (embryo and fetus). Annals of
the ICRP, v. 33, no. 1–2. ICRP publication 90. Kidlington, Oxford;
Tarrytown, NY: Pergamon, 2003. 8 On pourra trouver les références pour cette
section aux pp. 13–14 du rapport de l’IEER sur le projet
LES. 9 Sauf mention contraire, on pourra trouver les références
pour cette section aux pp. 14–16 du rapport de l’IEER sur
le projet LES. 10 Wayne Briner et Jennifer Murray, “Effects of short-term
and long-term depeleted uranium exposure on open-field behavior and
brain lipid oxidation in rats.” Neurotoxicology and Teratology,
v. 27 (2005). pp. 135-144. 11 Arrudo-Neto et al. “Long-term accumulation
and microdistribution of uranium in the bone and marrow of beagle dog.”
Int. J. Radiat. Biol., vol. 80, no. 8 (2004), pp. 567-575. 12 Lemercier, et al. “Study of uranium transfer
across the blood-brain barrier.” Radiation protection dosimetry,
v. 105, nos. 1-4 (2003). pp. 243-245. 13 Aux Etats-Unis le terme “caucasian” est utilisé
pour identifier la race blanche. |
(La version anglaise de ce numéro, Science for Democratic Action v. 13, no. 2, a été publiée en juin 2005.)
Mise en place décembre 2005