IEER | Énergie et Sécurité No. 33


Néfaste au squelette : Les valeurs limites pour la concentration du plutonium dans l’eau potable

Par Arjun Makhijani


Note de la rédaction : La promulgation aux États-Unis en 1975 et 1976 d’une réglementation sur l’eau potable portant sur les produits chimiques toxiques et les radionucléides, en application de la Loi sur l’eau potable (Safe Drinking Water Act) a constitué une étape historique dans l’amélioration de la salubrité de l’eau potable pour le public. Mais il s’avère avec le temps que de nombreux produits chimiques et radionucléides présentent des risques plus importants ainsi qu’une plus grande diversité de risques, pour la santé humaine.

Cet article sur les valeurs limites (maximum contaminant levels – MCL) de la teneur en plutonium 239 et en radionucléides apparentés, fait partie d’une série d’initiatives de l’IEER visant à attirer l’attention sur les conséquences des études scientifiques menées sur la santé publique et la protection de l’environnement. Les travaux de l’IEER montrent que les valeurs limites en vigueur pour ces radionucléides, connus sous le nom de radionucléides transuraniens émetteurs alpha et à vie longue, doivent être abaissées d’un facteur 100 de façon à respecter les objectifs de radioprotection qui sous-tendaient la première promulgation de ces valeurs limites en 1976.

Nous vous invitons à participer à ces initiatives. La prochaine révision prévue par la loi pour les valeurs limites (VL) des radionucléides dans l’eau potable est prévue pour 2006. Nous invitons les lecteurs d’Énergie & Sécurité et les organisations dont ils sont membres à se joindre à l’IEER pour adresser à l’Agence pour la protection de l'environnement des Etats-Unis (EPA) un message fort et clair, indiquant que les limites de concentration en radionucléides transuraniens émetteurs alpha et à vie longue doivent être abaissées pour protéger la santé publique. Veuillez vous reporter à l’encadré ci-dessous pour les renseignements sur la manière de procéder.

Cet article est basé sur l’analyse scientifique menée par l’IEER sur les valeurs limites de concentration dans l’eau potable des radionucléides transuraniens émetteurs alpha, intitulée Néfaste au squelette : Analyse des valeurs limites fédérales pour la concentration du Plutonium 239 et des autres radionucléides transuraniens émetteurs alpha dans l’eau potable. On pourra trouver une synthèse des principaux résultats et recommandations du rapport à la fin de cet article. Les références sont précisées dans le rapport lui-même, qui peut être consulté à l’adresse http://www.ieer.org/reports/badtothebone/.

 


Les réglementations primaires nationales sur l’eau potable (National Primary Drinking Water Regulations) précisent les règles qui protégeront l’eau potable et la préserveront dans un état permettant une consommation sans danger. Ces réglementations fixent des normes pour les radionucléides dans les services d’eau publics dans le cadre de la Loi sur l'eau potable de 1974.1 Ces normes sont établies de deux manières : en précisant les valeurs limites de la radioactivité dans l’eau potable, ou en spécifiant la dose maximale admissible d’irradiation à l’ensemble du corps ou à un organe particulier du fait de l’ingestion de l’eau potable.

La valeur limite actuelle pour l’activité brute en particules alpha (qui comprend le radium 226, le plutonium 239 et l’ensemble des autres radionucléides émetteurs alpha à l’exception de l’uranium et du radon) est de 15 picocuries par litre.2 Il existe une sous limite pour le cumul du radium 226 et du radium 228, de 5 picocuries par litre (comprenant le radium 226 et le radium 228 éventuellement présents à l’état naturel). Par exemple, si l’eau n’est contaminée qu’avec du plutonium 239, le taux de contamination peut atteindre 15 picocuries par litre si aucun autre radionucléide émetteur alpha concerné n’est présent. Si du radium 226 est présent à la limite maximale admissible de 5 picocuries par litre3, alors la règle autorise une valeur limite de 10 picocuries par litre pour l’ensemble des émetteurs alpha.

Cette norme a été fixée en 1976, sur la base des évaluations scientifiques réalisées à la fin des années 1950 par la Commission internationale de protection radiologique (CIPR) et le Comité national de radioprotection (NCRP). Tous deux sont des organismes scientifiques consultatifs. Les évaluations ont été publiées sous la forme de la Publication n°2 de la CIPR, dans le Rapport n° 22 du NRCP, et sous une forme abrégée par le Bureau national de normalisation des États-Unis sous le nom de Manuel (Handbook) 69.4 Les versions modernes des manuels NBS sont publiées par l’Agence américaine pour la protection de l'environnement (EPA) sous forme d’une série de rapports de recommandation fédéraux (FGR).

Les normes sur l’eau potables telles qu’elles ont été promulguées en 1976 distinguaient de façon générale entre les radionucléides présents à l’état naturel dans l’environnement et les radionucléides artificiels. Plus précisément, l’EPA limitait les doses pour les radionucléides artificiels émetteurs de particules bêta ou de photons à 4 millirems par an pour l’organe critique (c’est-à-dire le plus exposé). À l’époque, les principaux polluants radioactifs présents dans l’eau provenaient des retombées des essais nucléaires atmosphériques. La contamination par le plutonium et les autres radionucléides transuraniens émetteurs alpha à vie longue n’a pas été prise en compte explicitement, vraisemblablement parce qu’à l’époque ces radionucléides n’étaient pas considérés comme des menaces pour les réseaux d’eau publics, dans la mesure où leur évacuation avait lieu essentiellement à l’intérieur des installations nucléaires militaires (même si une partie était envoyée à des sites civils de stockage de déchets radioactifs de faible activité). Néanmoins, malgré l’absence d’une prise en compte explicite, la valeur limite pour les radionucléides transuraniens émetteurs alpha et à vie longue a été fixée à un niveau qui entraînerait une dose au squelette inférieure à 4 millirems par an.

En revanche, aucune valeur limite spécifique n’a été définie pour l’uranium ou le radon, deux radionucléides naturels présents dans l’eau. La sous limite qui a été fixée pour le radium 226 (un maximum de 5 picocuries par litre en l’absence de radium 228) était très largement supérieure à celle qui serait entraînée par une limite de dose de 4 millirems. Le radium 226 est présent naturellement dans l’eau (et le sol) en quantités variables, allant d’une fraction de picocurie par litre à des dizaines de picocuries par litre. L’intention de l’EPA était de réduire les risques les plus graves dans des zones fortement contaminées en radium, et en même temps de limiter le coût global du traitement de l’eau et le nombre de réseaux devant être traités pour enlever le radium.

L’intention de limiter l’exposition provenant de toutes les sources artificielles apparaît clairement dans le texte de la réglementation. Les sources militaires étaient clairement mentionnées, puisque les retombées des essais nucléaires étaient clairement prises en compte :

La radioactivité artificielle peut pénétrer à l’intérieur des réseaux d’eau potable à partir de sources très diverses. Une telle contamination est généralement confinée à des réseaux utilisant les eaux de surface. Les dépôts, par le passé, de matières issues des retombées des essais nucléaires, particulièrement de strontium 90 et de tritium, constituent probablement la source la plus importante de contamination. La dose équivalente à des utilisateurs individuels des réseaux d’eau potable dans certaines zones des États-Unis à partir de cette voie de transfert se situe dans une fourchette de 1 à 2 millirems (mrem) par an. Aujourd’hui, la dose équivalente provenant des réseaux d’eau potable contaminés par des effluents produits par le cycle du combustible nucléaire ne représente probablement qu’une fraction de celle issue des retombées, atteignant peut-être cependant 0,5 mrem par an. La dose équivalente provenant des effluents rejetés par les utilisateurs médicaux, scientifiques et industriels de matières nucléaires qui pénètrent dans les réseaux d’eau potable n’a pas été complètement quantifiée. Pris globalement, ces utilisateurs manipulent des quantités de radioactivité bien moindres en comparaison des installations nucléaires civiles, mais (à l’exception du tritium) leurs rejets liquides et les doses aux humains qui en résultent sont quelque peu comparables.

L’EPA reconnaît que l’utilisation des radionucléides au niveau national dans la médecine et l’industrie, et le recours à l’énergie nucléaire pour subvenir aux besoins énergétiques, conduiront inévitablement à l’introduction d’une certaine quantité de radioactivité dans l’environnement aquatique. De ce fait, la qualité de certaines eaux de surface devrait diminuer légèrement à l’avenir. Même si l’augmentation de la radioactivité dans l’eau potable devrait généralement être faible, l’Agence pense que le risque de contamination future justifie la vigilance. Les obligations de surveillance et de conformité proposées sont destinées à fournir un mécanisme qui permettra au fournisseur de l’eau d’avoir connaissance des changements dans le niveau de radioactivité de ses sources en eau, de manière à ce que des mesures correctives appropriées puissent être prises.5

La valeur limite pour les émetteurs bêta et les émetteurs de photons a été fixée à 4 millirems par an, parce qu’ils étaient considérés comme les sources les plus importantes de radioactivité artificielle :

Étant donnée la somme de la radioactivité déposée à partir des retombées nucléaires et les quantités supplémentaires dues aux effluents des autres sources qui existent actuellement, la dose équivalente totale provenant de la radioactivité artificielle ne devrait pas conduire chez un individu quelconque à une dose totale au corps entier ou à un organe spécifique qui dépasse 4 millirems par an…6

Cette citation montre que les retombées des essais représentaient la composante la plus importante de la dose issue des radionucléides artificiels évaluée par l’EPA à l’époque. En envisageant l’avenir, l’EPA n’a pas prévu que des radionucléides artificiels aboutiraient à une dose supérieure à 4 millirems par an à un organe quelconque à partir de l’eau potable, parce qu’elle croyait que les retombées resteraient la source principale et que celle-ci diminuerait avec le temps du fait de l’interdiction des essais atmosphériques :

La norme de 4 millirems par an pour la radioactivité artificielle a été choisie pour éviter une contamination indésirable à l’avenir de l’approvisionnement public en eau potable du fait d’activités humaines maîtrisables. Étant donnés les niveaux actuels de la radioactivité issue des retombées dans les réseaux publics de distribution d’eau et leur baisse attendue à l’avenir, et le degré de contrôle par les autorités des effluents issus de l’industrie nucléaire, la valeur limite de contamination pour la radioactivité artificielle ne devrait pas être dépassée hors circonstances extraordinaires.7

L’évolution des connaissances scientifiques

La compréhension de la façon dont les radionucléides se déplacent à l’intérieur du corps humain suite à l’inhalation ou l’ingestion a beaucoup progressé depuis le milieu des années 1970. Un des principaux changements a porté sur les importantes augmentations des estimations de doses d’irradiation au squelette pour la même incorporation de plutonium 239 et d’autres radionucléides transuraniens, émetteurs alpha et à vie longue, par rapport aux estimations établies à partir de la méthode du NBS 69, sur laquelle la valeur limite pour des radionucléides est toujours basée. L’autre changement concerne la façon dont le « squelette » est défini à des fins d’estimation de doses et donc, pour la radioprotection. Il en découle que les valeurs limites actuelles pour les radionucléides transuraniens émetteurs alpha et à vie longue ne traduisent plus l’intention des règles sur la sécurité de l’eau potable promulguées en 1976 ou de la Loi sur l'eau potable (voir http://www.ieer.org/ensec/no-33/no33frnc/pueteau.html). Comme nous le montrons ci-dessous, la valeur limite de 15 picocuries par litre autorisée pour ces radionucléides (en l’absence d’autres radionucléides émetteurs alpha8) n’est pas satisfaisante pour servir de base à la protection de la santé publique, dans la mesure où elle est en désaccord avec le fond et l’intention des réglementations sur la sécurité de l’eau potable pour les radionucléides, qui ont été promulguées pour la première fois en 1976.

Les premiers grands changements dans l’interprétation scientifique officielle du comportement du plutonium et des autres radionucléides émetteurs alpha et à vie longue dans le corps humain, et de l’ampleur des doses d’irradiation qu’ils entraînent pour différents organes, ont été pris en compte par la CIPR à la fin des années 1970 et au début des années 1980 (c’est-à-dire peu de temps après la promulgation des règles américaines sur la sécurité de l’eau potable). L’EPA a pour la première fois adopté ces changements pour l’évaluation des doses d’irradiation dans son rapport FGR 11, publié en 1988.

D’autres changements sont intervenus depuis cette époque permettant une estimation de doses pour des personnes de différents âges, notamment les nourrissons mais ces évolutions n’ont pas encore été intégrées dans les normes pour l’eau potable. Ces modifications ont été publiées par l’EPA dans son rapport FGR 13 en 1999, et dans un CD d’accompagnement contenant les facteurs de conversion de dose en 2002.

Aidez à protéger l’eau potable de la contamination par le plutonium

La Loi sur l’eau potable oblige prescrit à l’Agence de protection de l’environnement américaine (EPA) d’à examiner et de réviser, selon les besoins, chaque réglementation nationale sur l’eau potable au minimum tous les six ans.

Le 1er août 2005, l’IEER avec d’autres groupes ont envoyé une lettre à l’EPA l’invitant à intégrer les analyses scientifiques de l’IEER portant sur les normes pour l’eau potable en matière de radionucléides transuraniens émetteurs alpha dans sa révision sur les radionucléides prévue pour 2006. L’objectif est d’obtenir de l’EPA qu’il adopte une recommandation centrale : fixer la valeur limite (VL) cumulée pour les radionucléides émetteurs alpha et à vie longue à 0,15 picocuries par litre.

Nous vous invitons, chers lecteurs, à apporter votre soutien au rapport de l’IEER. Merci d’encourager les organisations auxquelles vous appartenez à le soutenir également. Plus le nombre de groupes et d’individus apportant leur soutien à ce rapport sera important, plus l’EPA sera susceptible d’agir et de renforcer les normes sur l’eau potable.

Soutenez le rapport en consultant la page http://www.ieer.org/epaletter/ et en cliquant sur « sign the letter » (signer la lettre). Vous pouvez aussi appeler l’IEER au + 1 (301)-270-5500. Il sera possible d’ajouter sa signature à la lettre jusqu’à la conclusion de l’examen de l’EPA, probablement à l’automne 2006. L’IEER fera périodiquement suivre les signatures supplémentaires à l’EPA jusqu’à la date finale.

Si vous avez des questions ou souhaitez obtenir plus d’informations, n’hésitez pas à contacter Lisa Ledwidge à l’IEER par e-mail à ieer@ieer.org ou par téléphone au 612-722-9700.

Évolution des recommandations fédérales : de la fin des années 1950 à 2002

En 1959, le Bureau national de normalisation américain (NBS) a publié son manuel 69 (NBS 69), qui fixait les concentrations moyennes maximales admissibles par an pour les radionucléides dans l’air et l’eau, calculées sur la base de la dose au corps entier ou à l’organe critique. En matière de radioprotection, les « organes » correspondent parfois à des organes réels, mais parfois il s’agit d’une notion plus abstraite, qui repose sur des expérimentations et des modèles du mouvement des radionucléides dans le corps (ce qu’on appelle la biocinétique). Dans le cas de radionucléides ostéotropes, le fait que l’on sait depuis longtemps que le radium 226 se comporte de manière très semblable au calcium dans le corps et se concentre dans les os, a conduit à définir le « squelette hors moelle osseuse » comme l’organe critique, soit l’organe qui recevrait la dose maximale. Le NBS 69 a publié des limites de concentration de radium 226 dans l’air et l’eau, en définissant une limite de dose de 30 rems par an aux « tissus osseux ».

Il a été établi à l’époque que les autres radionucléides qui se fixent sur les os ne se comportent pas exactement de la même manière que le radium 226. Plus précisément, ils pourraient ne pas être aussi uniformément répartis dans les tissus osseux que le radium. De ce fait, pour ces radionucléides, un « coefficient de sécurité » de 5 a été fixé pour l’estimation des valeurs limites pour l’air et l’eau. Ceci a effectivement permis de réduire à 6 rems la dose au squelette issue de ces radionucléides autorisée pour les travailleurs. Le « squelette hors moelle osseuse » (« l’os ») était toujours considéré comme l’organe critique, mais implicitement, en utilisant un coefficient de sécurité de 5, le NBS 69 laissait la porte ouverte à des révisions sur la façon dont la répartition du plutonium et des autres radionucléides transuraniens émetteurs alpha et à vie longue pourrait être envisagée à l’avenir, étant donné leurs différences par rapport au radium 226.

La dose au squelette, telle qu’elle était alors définie, pour une valeur limite de 15 picocuries par litre, donne 1,8 millirem par an pour la totalité des radionucléides transuraniens émetteurs alpha et à vie longue concernés, à l’exception du neptunium-237, pour lequel la dose est d’environ 3 millirems par an. De ce fait, la valeur limite globale fixée en 1976, pour ce qui est des radionucléides transuraniens émetteurs alpha et à vie longue, était clairement établie pour aboutir à des doses inférieures à la limite de 4 millirems fixée pour les autres radionucléides artificiels.

En 1988, l’EPA a adopté pour le squelette une approche scientifique différente pour les besoins de la radioprotection. Dans le rapport FGR 11, l’EPA a défini deux organes reliés au squelette : la « moelle osseuse » et la « surface osseuse ». Ceci découlait de la découverte que les radionucléides comme le plutonium 239 avaient une tendance à affecter de manière disproportionnée les cellules endostéales situées près de la surface de l’os. Par ailleurs, les facteurs de conversion de dose (les valeurs de dose par unité de radioactivité incorporée) pour les radionucléides transuraniens émetteurs alpha et à vie longue, publiées dans le rapport FGR 11, étaient très supérieurs à ceux qui découlaient des valeurs limites publiées dans le NBS 69.

À la suite de ces deux changements, les doses provenant de l’ingestion du plutonium présent dans l’eau potable, estimées selon une compréhension plus récente des phénomènes, ont augmenté de façon spectaculaire. La dose cumulée à l’organe critique sur la vie entière, due à l’absorption d’eau contaminée par du plutonium 239 à une valeur limite de 15 picocuries par litre, a augmenté d’environ 180 fois quand le rapport FGR 11 a été utilisé à la place du NBS 69. Aussi bien le changement d’organe critique (« squelette hors moelle osseuse » à surface osseuse) que l’augmentation de dose par unité d’incorporation ont joué un rôle importante dans l’augmentation des estimations du rapport FGR 11.9

La compréhension de la biocinétique du plutonium a encore évolué depuis 1988. Ces dernières années, des facteurs de conversion de dose ont été publiés pour différents âges. Ceci signifie que l’on peut calculer la dose pour la vie entière en supposant qu’une personne absorbe chaque année de sa vie de l’eau contaminée à la valeur limite. De tels calculs sont possibles à l’aide des facteurs de conversion de dose du rapport FGR 13, que l’EPA a publiés en 2002 sur CD.

En utilisant ces facteurs de conversion de dose actualisés et basés sur l’âge, nous avons calculé que la dose à l’organe le plus exposé (la surface osseuse), sur la base du rapport FGR 13, serait environ 100 fois supérieure à la dose au squelette telle qu’elle est définie dans le NBS 69 (le « squelette hors moelle osseuse »). Ceci veut dire que, selon les chiffres les plus récents publiés par l’EPA, la valeur limite pour le plutonium 239 et les autres radionucléides transuraniens émetteurs alpha et à vie longue est trop élevée d’un facteur 100 environ. En d’autres termes, pour rester conforme à l’intention et à l’esprit des réglementations de 1976, les valeurs limites pour les radionucléides transuraniens émetteurs alpha et à vie longue devraient être abaissées de 15 picocuries par litre à 0,15 picocurie par litre (moyenne annuelle).

En envisageant cette recommandation, l’IEER s’est également intéressé aux limites pour le plutonium 239 qui existent dans d’autres normes. La norme pour les eaux de surface de l’État du Colorado est la plus pertinente, dans la mesure où cet État a accueilli l’une des plus importantes installations de manutention et de traitement du plutonium aux États-Unis, l’usine de Rocky Flats près de Denver. La norme au niveau de l’État pour le plutonium 239 dans les eaux de surface est de 0,15 picocuries par litre.10 (Voir l’encadré ci-dessous)

Conclusions

En conclusion, la valeur limite d’exposition pour les radionucléides transuraniens émetteurs alpha et à vie longue devrait être abaissée d’un facteur 100 environ, c’est-à-dire qu’elle devrait passer de 15 picocuries par litre à 0,15 picocuries par litre. La limite de 15 picocuries par litre pour les radionucléides transuraniens est obsolète, n’assure pas une protection de la santé publique, est contraire à l’esprit de la Loi sur l’eau potable, et est en contradiction avec l’intention de la réglementation initiale.

Une norme prenant en compte le cumul de tous les radionucléides transuraniens émetteurs alpha et à vie longue simplifiera la règle et réduira le coût de sa mise en vigueur. En outre, dans la mesure où, parmi ces radionucléides, les isotopes du plutonium dominent le contenu radioactif des déchets du Département de l’Énergie (DOE)11, et dans la mesure où les facteurs de conversion de dose pour le Pu-238, le Pu-239, le Pu-240, le Pu-242 et l’Am-241 sont presque les mêmes, il est raisonnable d’utiliser le Pu-239 comme référence pour le calcul des valeurs limites normalisées cumulées, aussi bien du point de vue de la santé que de l’efficacité économique.12

Il est également nécessaire de modifier la limite de détection qui correspond au changement de la valeur limite d’exposition pour les radionucléides transuraniens, émetteurs alpha et à vie longue. La réglementation devrait être modifiée pour prévoir une limite de détection de 0,01 picocurie par litre distincte pour chacun des radionucléides transuraniens, émetteurs alpha et à vie longue. La limite de détection actuelle pour ces radionucléides est de 0,001 picocurie par litre. Les erreurs peuvent être importantes à des niveaux aussi faibles.

L’EPA devrait envisager un renforcement de la norme et des autres recommandations dans sa révision sur la présence des radionucléides dans l’eau potable, qui doit intervenir en 2006. Nos principales conclusions et recommandations sont à la fin de cet article.

Norme de l’État du Colorado sur le plutonium dans l’eau potable

La norme de l’État du Colorado pour le plutonium 239 dans les eaux de surface est de 0,15 picocurie par litre. Elle est calculée sur la base d’une moyenne glissante sur 30 jours, c’est-à-dire de la moyenne effectuée à partir de 30 mesures consécutives, qui peuvent ou non être prises sur des jours consécutifs. La norme du Colorado est basée sur le risque qu’une personne sur un million développe un cancer du fait de la consommation de deux litres d’eau par jour pendant 30 ans.

La Commission de contrôle de la qualité des eaux du Département de la santé du Colorado a décrit de la manière suivante le contexte et la justification d’un passage de la norme de 15 à 0,15 picocuries par litre (pCi/l) :

Contexte – La Commission avait précédemment adopté une norme de base pour le plutonium de 15 pCi/l et ne disposait pas de norme de base pour l’américium. Une norme de base a été envisagée pour l’américium dans cette audition parce qu’il est étroitement lié au plutonium et que ces deux radionucléides sont en général présents simultanément. La norme de base actuelle de 15 pCi/l pour le plutonium a été calculée en utilisant les méthodologies des Réglementations primaires nationales provisoires sur l’eau potable (National Interim Primary Drinking Water Regulations) de 1976, et était cohérente avec l’objectif qui visait à maintenir les expositions au-dessous de 4 millirems par an. Le « Fondement » et « l’Objectif » de la décision indiquaient qu’il était nécessaire et important d’abaisser les niveaux du fait de la difficulté de supprimer ce radionucléide par des procédés de traitement classiques, et parce que ses effets nocifs éventuels sur la santé humaine suggèrent une extrême prudence pour les rejets dans les eaux de l’État. Dans la mesure où le plutonium est principalement un émetteur alpha, la norme de base a été mise en cohérence avec la norme de 15 pCi/l pour les émetteurs alpha […].

Fondement de la décision de la Commission – Depuis que la norme de base précédente a été fixée, plusieurs changements sont intervenus : 1) une nouvelle méthodologie pour l’évaluation des carcinogènes est devenue la pratique normale, 2) de nouvelles données ont abouti à des actualisations périodiques des ERU (excès de risque unitaires ou « slope factors ») utilisés dans cette méthodologie et 3) une amélioration de la politique de la Commission concernant la pertinence des niveaux de protection pour les carcinogènes a été réalisée. Cette dernière politique basée sur le risque accompagne également une tendance nationale visant à une approche basée sur le risque pour les normes des opérations de décontamination de l’environnement.

L’approche basée sur la dose 15 pCi/l a été calculée pour un « individu de référence » et la prise en compte de son exposition pendant sa vie professionnelle. Il s’agissait d’une approche visant à répondre aux questions liées à l’exposition professionnelle. Elle ne prenait pas en considération les facteurs liés au sexe, à l’âge ou à des organes particuliers sur l’ensemble de la vie. En revanche, la nouvelle méthodologie sur les ERU, utilisée dans les recommandations de l’EPA pour les risques des sites pollués (Risk Assessment Guidance for Superfund Sites) de 1989, est plus complète, plus applicable à l’ensemble de la population et est devenue la pratique standard pour le calcul du risque.

La Commission a adopté une norme de base de 0,15 pCi/l pour le plutonium et l’américium, calculée à l’aide d’un niveau de risque de 1 ×10-6, sur la base d’un usage domestique. Ce niveau de risque est cohérent avec la politique de la Commission en faveur de la protection de la santé humaine.*

L’aspect scientifique crucial de la réglementation du Colorado est que les connaissances scientifiques ont évolué et font apparaître un risque supérieur à ce qui était envisagé auparavant pour l’exposition au plutonium et à l’américium ; les valeurs limites doivent donc être ajustées en conséquence.

* Colorado Department of Public Health and Environment. Water Quality Control Commission. The Basic Standards and Methodologies for Surface Water (5 CCR 1002-31). Regulation No 31. Adoptées à l’origine en 1979 et amendées pour la dernière fois le 8 novembre 2004, avec les amendements effectifs à la date du 22 mars 2005. Lien sur le Web au http://www.cdphe.state.co.us/op/regs/waterqualityregs.asp. Consulté le 2 juin 2005. Pages 138–139.

Coûts

Les radionucléides transuraniens émetteurs alpha et à vie longue ne sont pas présents partout à des concentrations significatives, à la différence de radionucléides présents naturellement dans l’environnement comme l’uranium 238, l’uranium 234 et le radium 226. Par conséquent presque tous les réseaux publics d’alimentation en eau peuvent donc être exemptés d’une obligation de surveillance régulière de ces radionucléides. Les obligations de surveillance pour ces radionucléides devraient être appliquées à des réseaux publics d’alimentation en eau qui extraient l’eau d’aquifères ou d’eaux de surface qui ont potentiellement des connexions hydrologiques ou hydrogéologiques avec des zones ou des installations avec des réservoirs de déchets, des fosses d’enfouissement de déchets et d’autres sources potentielles de radionucléides transuraniens émetteurs alpha et à vie longue, dont le cumul de radioactivité dépasse 100 curies.13 Les déchets enfouis à des profondeurs faibles ou intermédiaires rentrent dans le cadre de cette définition. Les radionucléides transuraniens émetteurs alpha et à vie longue qui sont à l’intérieur de bâtiments sécurisés et soumis à des contrôles institutionnels seraient exemptés de cette limite et des exigences de surveillance qui lui sont associées.

Les réseaux publics d’alimentation en eau ne sont pas actuellement contaminés au niveau de la valeur limite imposée (ou à proximité de ce niveau) pour les radionucléides transuraniens émetteurs alpha et à vie longue. Une norme renforcée sur l’eau potable a une fonction préventive plus que corrective. Seul un coût minime et ponctuel pour un ensemble initial d’échantillons de référence est prévu pour les réseaux qui extraient leur eau de points d’alimentation comprenant des sites du DOE avec une quantité significative de déchets de plutonium ou une contamination du sol dans les bassins-versants. Nous recommandons que ce coût ponctuel soit assumé par le DOE.

Dans la mesure où il n’existe dans les réseaux d’eau publics aucune contamination connue au-dessus de 0,15 picocurie par litre de transuraniens émetteurs alpha et à vie longue, aucune autre intervention ne serait nécessaire sur ces réseaux et aucun coût supplémentaire ne serait à supporter, pourvu qu’il y ait une surveillance suffisamment complète par le DOE, parallèlement à des programmes d’assainissement adaptés à une libération complète des sites à long terme. Ceci suffira pour protéger les eaux superficielles et souterraines des réseaux d’eau en aval. Le DOE est censé effectuer une telle surveillance de toutes façons et il ne devrait donc pas y avoir de coûts supplémentaires permanents.

Le DOE, qui est responsable de la gestion de presque tous les déchets et matières présentant des risques de contamination par des radionucléides transuraniens émetteurs alpha et à vie longue, est censé procéder à des mesures correctives adéquates sur des sites tels que l’Idaho National Laboratory, Hanford, le Savannah River Site, et le Los Alamos National Laboratory. S’il procède ainsi, aucun coût d’assainissement ne sera nécessaire pour les réseaux publics d’alimentation en eau dans le contexte des changements que nous préconisons pour les Réglementations primaires sur l’eau potable.

Les conséquences liées au non-renforcement des normes signaleraient que l’assainissement des sites nucléaires militaires contenant d’importants stocks de plutonium pourrait se dérouler sans qu’une attention suffisante soit accordée aux objectifs de protection sanitaire de la sécurité de l’eau potable. Le DOE pourrait alors effectuer des travaux de réhabilitation sur ces sites et les déclarer « nettoyés », sans se référer à une norme sur l’eau potable basée sur une approche scientifique correspondant à la compréhension actuelle des préjudices potentiels du plutonium pour le corps humain. Certaines actions d’assainissement pourraient, à long terme, polluer l’eau à un niveau supérieur aux normes pour l’eau potable, voire même irrémédiable. Après pollution, aucune technologie connue ne pourrait assainir de grandes étendues d’eau comme la Savannah River ou le Snake River Plan Aquifer, si l’objectif est de réduire la pollution d’un niveau de quelques picocuries par litres à moins d’un picocurie par litre.

L’urgence des recommandations

De vastes étendues de terres et de grandes quantités d’eau restent contaminées par de dangereux radionucléides à vie longue issus du fonctionnement d’installations nucléaires militaires. Le DOE s’est vu confier la tâche de décontaminer ces sites. Il est donc très important que les niveaux de radioactivité résiduelle respectent des normes strictes qui protègent la santé des populations de la génération actuelle et des générations futures, qui seront exposées à cette contamination résiduelle.

Au début des années 1990, le DOE s’est engagé dans un processus de coopération avec l’EPA pour élaborer des normes nationales de décontamination, mais le DOE s’est soudainement retiré du processus en 1996 sans que rien ne soit prévu pour le reprendre. Depuis lors, le DOE a procédé site par site, d’une façon qui a conduit à un fatras de propositions de décontamination utilisant divers scénarios.

Sur le site de Savannah River, en Caroline du Sud, le DOE procède à une cimentation de déchets de haute activité dans des cuves, comme s’il s’agissait de déchets de faible activité. Les cuves sont enterrées en sous-sol, sur le bassin versant de la rivière Savannah, l’une des plus importantes rivières de la région de Caroline du Sud et de Géorgie. Ces déchets contiennent des quantités considérables de transuraniens. Par exemple, les déchets restants dans la Cuve 19, qui ont été cimentés, présentent une concentration en plutonium 14 fois supérieure à la limite de l’EPA de 100 nanocuries par gramme pour les déchets transuraniens, qui oblige normalement à un enfouissement en site géologique profond. Le DOE s’apprête à cimenter d’importantes quantités de plutonium et d’autres radionucléides dans les cuves, même s’il n’a pu obtenir jusqu’ici de preuves convaincantes de la durabilité du coulis de ciment. L’évaluation par l’IEER de l’état des recherches sur les coulis indique que les performances d’un tel ciment restent très incertaines.14 Il n’existe actuellement aucun fondement solide, que ce soit des expériences en laboratoire ou des données sur le terrain, permettant de supposer que la rivière Savannah serait protégée à long terme si de grandes quantités de transuraniens émetteurs alpha à vie longue étaient cimentées dans les cuves.

Il est urgent d’intégrer nos recommandations dans la prochaine révision de l’EPA sur les valeurs limites pour les radionucléides dans l’eau potable, et ce pour plusieurs raisons essentielles. En 2004, le Congrès à voté une loi autorisant le DOE à faire passer des déchets résiduels de haute activité dans la catégorie des « déchets accessoires au retraitement » pour ses sites de Caroline du Sud et de l’Idaho. La loi ne fixe aucune limite pour la radioactivité résiduelle admissible dans ces déchets. Plusieurs radionucléides à vie longue, notamment des isotopes du plutonium, du strontium 90 et du césium 137 peuvent être cimentés dans les cuves ou enfouis dans des excavations dans le sel à faible profondeur. Il est donc à la fois extrêmement urgent et extrêmement important de définir un cadre réaliste pour orienter les décisions du DOE de manière à ne pas en mettre en péril des ressources en eau essentielles.

L’apparition de nouvelles connaissances scientifiques

De nouvelles études scientifiques sur les effets des rayonnements sur la santé apportent aujourd'hui de nouveaux éléments, par exemple concernant (i) la protection de l’embryon/du fœtus et du nourrisson, (ii) les effets non cancérigènes de l’exposition à certains radionucléides, (iii) les effets synergétiques éventuels entre l’exposition à certains produits chimiques, comme les produits chimiques agissant sur les hormones et l’exposition aux rayonnements, (iv) la nécessité de protéger certaines espèces non humaines et certains écosystèmes essentiels, et (v) les synergies indiquées pour certains effets entre la radiotoxicité de l’uranium et sa toxicité en tant que métal lourd. Il s’agit là de nouveaux domaines de préoccupation, pour lesquels les risques ne sont pas bien établis d’un point de vue quantitatif. De tels risques doivent être pris en compte globalement dans la protection de la santé et la radioprotection. Cette question constituera une partie importante du travail de l’IEER dans les deux années à venir. Comme ces considérations relèvent de connaissances scientifiques en cours d’élaboration et exigeront un large débat sur la protection de la santé vis-à-vis des polluants de l’environnement, leur prise en compte dans les normes de radioprotection risque de prendre un certain temps.

La question de la révision des valeurs limites pour les transuraniens émetteurs alpha et à vie longue est beaucoup plus simple, dans la mesure où elle est basée sur des connaissances scientifiques et des réglementations existantes. Étant donné que l’EPA est mandatée pour réviser ses normes pour les radionucléides dans l’eau potable en 2006, la mise en œuvre de ce changement ne doit pas poser de problème. Elle est, en outre, urgente, dans la mesure où le DOE procède actuellement à la cimentation de grandes quantités de plutonium situées sur le bassin versant de la rivière Savannah, et dans la mesure où son approche de la décontamination s’est passablement détériorée au cours des récentes années. Ceci fait peser un risque sur des ressources en eau potable vitales.

Le renforcement des valeurs limites pour les transuraniens émetteurs alpha à vie longue dans l’eau potable est très important. En effet, il garantit que la méthode de décontamination du DOE et les niveaux de radioactivité résiduelle ne dépassent pas des niveaux qui feraient peser sur la santé des générations futures un risque très supérieur à celui identifié par les connaissances scientifiques actuelles, et qui correspond à l’intention des réglementations sur l’eau potable. Une réduction des valeurs limites des transuraniens émetteurs alpha à vie longue à 0,15 picocurie par litre relève de la science, de l’esprit et de l’intention des réglementations sur l’eau potable et de la nécessité pratique de protéger les ressources en eau près des sites qui contiennent des quantités considérables de déchets de plutonium.

Principaux résultats

1. La valeur limite (VL) pour le plutonium 239 et les autres transuraniens émetteurs alpha à vie longue dans l’eau potable est trop laxiste d’un facteur cent environ.

Les connaissances scientifiques les plus récentes, telles qu’elles apparaissent dans les publications de l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA), indiquent que la dose d’irradiation à l’organe le plus exposé, la surface des os, à partir d’une eau potable contaminée à la limite maximum autorisée, est environ cent fois supérieure à la dose à laquelle était soumise l’organe considéré en 1976 comme le plus exposé (le squelette hors moelle osseuse). Ceci montre que les normes sur l’eau potable sont environ une centaine de fois trop laxistes, si l’on se rapporte aux intentions des réglementations au moment de leur première promulgation. La valeur limite pour chaque transuranien émetteur alpha à vie longue est de 15 picocuries par litre.

2. Les réglementations sur l’eau potable, lorsqu’elles ont été établies pour la première fois, englobaient explicitement les sources militaires de radionucléides, et plus spécifiquement les retombées des essais d’armes atomiques.

3. Il est nécessaire de réduire les valeurs limites pour les transuraniens émetteurs alpha à vie longue pour empêcher une approche laxiste de la décontamination des sites nucléaires militaires.

Une fois que l’eau potable est polluée à quelques picocuries par litre, ce qui représente de nombreuses fois la valeur limite indiquée par les connaissances scientifiques actuelles, il sera pratiquement impossible d’y remédier. Une valeur limite plus stricte est donc nécessaire comme guide pour les opérations de décontamination engagées par le DOE américain et comme mesure préventive de protection de l’alimentation publique en eau potable.

4. La grande majorité des réseaux publics d’eau potable n’auront aucun coût à supporter du fait du changement proposé et quelques-uns auront à prendre en charge un coût ponctuel de surveillance.

La grande majorité des réseaux d’eau potable publics sont à des niveaux inférieurs de plusieurs ordres de grandeur par rapport à la valeur limite proposée pour les transuraniens émetteurs alpha à vie longue. Ils ne sont pas menacés par une contamination ultérieure. Ces réseaux n’ont besoin d’aucun échantillonnage, suivi ou mesure corrective.

Pour les réseaux d’eau potable publics qui sont hydrologiquement ou hydrogéologiquement reliés à des sites du DOE où de grandes quantités de déchets de plutonium ont été enfouis ou stockés, des analyses et des prélèvements initiaux ponctuels devraient être réalisés. En cas d’absence de contamination, aucun prélèvement supplémentaire n’aurait à être effectué à condition que le DOE poursuive un programme d’échantillonnage sur les eaux de surface et les eaux souterraines, et fasse état publiquement de ses résultats. Il est actuellement dans l’obligation de le faire, et aucune dépense supplémentaire ne serait imposée de ce point de vue.

5. L’assouplissement des objectifs du DOE en matière de décontamination et l’absence de normes nationales de décontamination exigent une révision urgente des valeurs limites pour les transuraniens émetteurs alpha à vie longue, si l’on veut protéger à long terme les réseaux d’eau potables vitaux.

Le calendrier et l’urgence de la principale recommandation de ce rapport (un abaissement de cent fois de la valeur limite pour les transuraniens émetteurs alpha à vie longue) découlent en grande partie de l’importance considérable de l’inventaire des radionucléides émetteurs alpha à vie longue présents dans plusieurs sites nucléaires militaires du DOE. Certains déchets contenant ces radionucléides (des déchets de faible activité et des déchets transuraniens) ont été évacués dans des tranchées sans renforcement, dans des boîtes en cartons ou des emballages non durables de ce type, pendant les premières décennies de la Guerre froide. Les sites essentiels se trouvent en Idaho, au Nevada, au Nouveau-Mexique en Caroline du Sud (à la frontière de la Géorgie), au Tennessee et dans l’État de Washington (en amont de l’Oregon).

L’inventaire cumulé du plutonium 238, 239 et 240 présents dans les cuves de déchets de haute activité du DOE sur le site de Savannah River dépasse le million de curies. En 2004, le Congrès a donné au DOE la latitude de changer la catégorie de certains de ces déchets. Le DOE peut maintenant procéder à la cimentation sur place de déchets haute activité en les qualifiant de déchets accessoires au retraitement. Le Congrès n’a fixé aucune limite au contenu de la radioactivité résiduelle totale des déchets cimentés. Dans la mesure où la cimentation des cuves est pratiquement irréversible, il est impératif que le DOE mette en œuvre la loi d’une manière compatible avec la protection de la rivière Savannah, qui est utilisée par des populations de plus en plus nombreuses comme source d’eau potable en Caroline du Sud et en Géorgie.

Recommandations

1. L’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) devrait réduire de cent fois ses valeurs limites pour les transuraniens émetteurs alpha à vie longue, de façon cumulée, jusqu’à une valeur limite de 0,15 picocurie par litre, à l’occasion de sa révision en 2006 des normes pour les radionucléides dans l’eau potable.

L’EPA devrait fixer une valeur limite (VL) cumulée de 0,15 picocuries par litre pour les transuraniens émetteurs alpha et à vie longue. Si un seul des radionucléides en question est présent, la limite pour ce radionucléide sera alors de 0,15 picocurie par litre. Les radionucléides concernés sont : le neptunium 237, le plutonium 238, le plutonium 239, le plutonium 240, le plutonium 242, l’américium 241, et l’américium 243. Ces changements devraient intervenir dans le cadre de la révision par l’EPA de ses normes sur les radionucléides dans l’eau potable qui est prévue pour 2006.

2. Le DOE devrait financer un programme d’analyse et d’échantillonnage initial ponctuel pour les réseaux publics d’eau potable hydrologiquement ou hydrogéologiquement reliés à des sites du DOE où de grandes quantités de déchets de p[plutonium ont été enfouies ou stockées.

Il faudrait considérer que les sites du DOE où sont présents des déchets enfouis dans le sous-sol ou dans des cuves contenant plus de 100 curies de transuraniens émetteurs alpha à vie longue présentent des risques potentiels pour l’eau potable. Parmi ces sites figurent le site de Savannah River, Hanford, le Laboratoire national de l’Idaho, le Laboratoire national de Los Alamos, Oak Ridge et le site d’essais nucléaires du Nevada. Il est souhaitable qu’un bilan des eaux en aval soit effectué pour fournir un niveau de référence de la contamination. Il devrait être financé par le DOE dans la mesure où les très faibles quantités de transuraniens émetteurs alpha à vie longue qui sont présentes actuellement dans les réserves d’eau potable sont dues à des activités nucléaires militaires (retombées des essais nucléaires).

3. Le DOE devrait évaluer son programme de surveillance des eaux sur site du point de vue de la norme proposée, et le renforcer si nécessaire Les ressources nécessaires aux vérifications au niveau local et à celui de l’État devraient être apportées par le gouvernement fédéral.

Le DOE procède actuellement à une surveillance approfondie des eaux souterraines et de surface. Ceci pourrait s’avérer suffisant pour garantir que les ressources en eau situées en aval continuent d’être préservées de toute contamination par des transuraniens émetteurs alpha et à vie longue. Dans le cas contraire, les programmes existants devraient être renforcés.

Le gouvernement fédéral devrait également fournir aux États et aux institutions chargées des réseaux publics d’eau potable qui sont contigus, d’un point de vue hydrologique ou hydrogéologique, à des sites du DOE, les fonds nécessaires pour mener des contrôles indépendants du programme de surveillance des eaux sur les sites et hors des sites du DOE. Il serait préférable que ces fonds transitent par l’EPA plutôt que par le DOE, de façon à garantir l’indépendance de la surveillance et la continuité du financement.

4. Une limite de détection distincte, de 0,01 picocurie par litre, devrait être fixée pour chacun des radionucléides transuraniens, émetteurs alpha et à vie longue.

5. Le DOE devrait rendre public le code source du modèle informatique qui est utilisé pour évaluer l’impact de la radioactivité résiduelle sur l’alimentation, l’eau et l’environnement.

Le Laboratoire national d’Argonne a mis au point une « famille » de logiciels informatiques pour l’évaluation de l’impact radiologique de la contamination de l’environnement par des radionucléides. Le principal logiciel, appelé simplement RESRAD, est utilisé pour évaluer l’impact de la radioactivité résiduelle présente dans le sol sur les êtres humains, en estimant les doses d’irradiations à travers toutes sortes de voies d’exposition, comme l’alimentation et l’eau et le sol remis en suspension. Son code source, ou le jeu d’instructions sous forme de texte qui constitue le programme, n’est pas public. Il n’intègre pas de facteurs de conversion de dose pour les enfants, les nourrissons ou les fœtus à différentes étapes de leur développement. Sa structure interne et ses effets sur les estimations de doses et de risques qui en résultent ne sont pas accessibles pour une évaluation indépendante. Nous recommandons vivement que le code source de RESRAD soit rendu public de façon à ce qu’il soit examiné et amélioré à la manière du système d’exploitation Linux. Le gouvernement, bien sûr, n’est pas dans l’obligation d’adopter un quelconque changement apporté par le public, sauf s’il le trouve utile pour la mise en œuvre des réglementations de protection de l’environnement. Mais aucune raison ne justifie de maintenir secret le code source de RESRAD, qui est payé par les contribuables américains, particulièrement dans la mesure où des milliards de dollars sont dépensés pour des décisions de décontamination basées sur les résultats générés par le programme RESRAD.


Voir aussi :


LES NOTES BAS DE PAGE

1 Les réglementations nationales fondamentales sur l’eau potable (National Primary Drinking Water Regulations) sont publiées dans le code 40 CFR 141.66 (anciennement 40 CFR 141.15 et 141.16), disponibles sur le web à http://www.access.gpo.gov/nara/cfr/waisidx_04/40cfr141_04.html. La loi sur l'eau potable (Safe Drinking Water Act) peut être consultée sur le web : http://www.epa.gov/safewater/sdwa/index.html. Voir également les pages centrales.

2 40 CFR 141.66(c). Les radionucléides qui font problème ici sont les transuraniens à vie longue (neptunium 237, plutonium 238, plutonium 239, plutonium-240, plutonium-242, américium 241, et américium 243) qui sont tous des radionucléides artificiels.

3 Ceci suppose une absence de radium 228. Le radium 228 est un émetteur bêta qui n’est pas inclus dans la valeur limite pour le cumul des émetteurs alpha. La valeur limite pour le radium dans la règle est fixée pour la concentration cumulée du Ra-226 et du Ra-228, même si l’un est un émetteur alpha et l’autre un émetteur bêta, parce que seules de petites quantités de ces radionucléides sont présentes à l’état naturel dans les grandes masses d’eau en même temps que les autres émetteurs naturels alpha (comme l’uranium 238) ou bêta (comme le potassium 40).

4 Le manuel NBS 69, qui porte également le titre de série Rapport NCRP N° 22, est une recommandation du Comité national de protection radiologique (National Committee on Radiation Protection and Measurements), également appelé Conseil national de protection radiologique (National Council on Radiation Protection and Measurements). Pour faciliter la consultation, nous nous référerons dans cet article au manuel NBS 69.

5 "Environmental Protection Agency [40 CFR Part 141] [FRL 410-3] Interim Primary Drinking Water Regulations, Notice of Proposed Maximum Contaminant Levels for Radioactivity." Federal Register, v. 40, no. 158, 14 août 1975, page 34324, c’est nous qui soulignons.

6 Ibid., page 34325, c’est nous qui soulignons.

7 Ibid., pages 34325–34326, c’est nous qui soulignons. De tous les États détenteurs d’armes nucléaires, seule la Chine procédait alors à des essais atmosphériques. La Chine a effectué son dernier essai nucléaire atmosphérique en 1980.

8 L’uranium n’est pas encore inclus dans les limites du cumul des émetteurs alpha pour l’eau potable. L’EPA a fixé une limite distincte de 30 microgrammes par litre pour l’uranium, en se basant sur sa toxicité en tant que métal lourd. Dans de prochains articles et publications, l’IEER abordera la question de l’uranium et d’autres radionucléides de manière plus générale et leur implication pour la protection de la santé.

9 Bien que, lors de la promulgations de la réglementation sur l’eau potable, la surface osseuse n’ait pas été définie comme un organe cible pour les calculs de doses en 1976, il est néanmoins possible d’estimer la dose pour les cellules endostéales à un niveau de contamination de l’eau potable de 15 picocuries par litre, en se basant sur les facteurs de conversion de dose du manuel NBS 69. Pour le plutonium 239, la dose annuelle aux cellules endostéales serait d’environ 26 millirems par an. La dose à la surface osseuse pour les autres transuraniens émetteurs alpha et à vie longue est à peu près la même, sauf pour le neptunium 237, pour lequel le chiffre s’élève à environ 44 millirems par an. Nous n’avons pas utilisé ces estimations de dose dans la recommandation de changement des valeurs limites parce que la réglementation sur l’eau potable exige clairement une limite de dose à l’organe critique, quelle que soit sa définition. En 1976, il s’agissait du squelette « hors moelle ». Actuellement, il s’agit de la surface osseuse.

10 L’État du Colorado a estimé sa valeur limite en se basant sur les limites de risques de la loi sur les sites pollués (Superfund – CERCLA). Nous avons utilisé les limites de dose et le texte de la réglementation sur l’eau potable elle-même pour parvenir à notre recommandation. Le Colorado a aussi fixé des normes pour d’autres radionucléides et prend en compte différentes limites pour les différents bassins versants. Nous n’avons pas abordé ces questions, qui aboutissent pour certaines à des règles plus strictes et pour d’autres à des règles plus laxistes. Nous utilisons la limite pour les eaux de surface de la totalité de l’État du Colorado pour le Pu-239 comme un guide parce que nous nous préoccupons (principalement) des installations nucléaires militaires, et la limite pour le plutonium appliquée par le Colorado visait spécifiquement à protéger les eaux de surface (vis-à-vis) d’une contamination provenant de l’usine nucléaire militaire de Rocky Flats (qui est maintenant démantelée, mais qui comporte une quantité considérable de radioactivité résiduelle enfouie dans le sol dans différentes parties du site).

11 Le DOE est responsable de la gestion de la quasi totalité des déchets et des matières présentant un risque de contamination des eaux par des radionucléides transuraniens émetteurs alpha et à vie longue.

12 Le facteur de conversion de dose pour le Np-237 est inférieur d’un facteur deux à celui des autres transuraniens émetteurs alpha et à vie longue.

13 Par exemple la limite de 100 curies est équivalente à 1 000 tonnes de déchets transuraniens contenant des radionucléides transuraniens émetteurs alpha et à vie longue à la limite inférieure de 100 nanocuries par gramme. Ceci équivaudrait (dans la pratique) à une quantité supérieure de déchets de faible activité, dans la mesure où la concentration dans ces déchets est (par définition) inférieure à 100 nanocuries par gramme.

14 Voir Brice Smith, What the DOE knows it doesn’t know about grout: serious doubts remain about the durability of concrete proposed to immobilize high-level nuclear waste in the tank farms at the Savannah River Site and other DOE sites (IEER, mise à jour du 18 octobre 2004), sur le Web : http://www.ieer.org/reports/srs/grout.pdf. Voir également Arjun Makhijani et Michele Boyd, Nuclear Dumps by the Riverside: Threats to the Savannah River from Radioactive Contamination at the Savannah River Site (IEER, 11 mars 2004), sur le web : http://www.ieer.org/reports/srs/index.html.


Énergie et Sécurité No. 33 Index
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(La version anglaise de ce numéro, Science for Democratic Action v. 13, no. 3, a été publiée en septembre 2005.)

Mise en place décembre 2005